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quelque fierté, durent naturellement songer à mettre à profit ces temps d’anarchie, L’énorme édifice de la domination romaine ne craquait-il point de toutes parts ? ne semblait-il pas à la veille de se disjoindre et de s’écrouler tout entier ? Ce Capitole, vers lequel étaient tournés les yeux de toutes les nations et auquel la cité reine aimait elle-même à rattacher ses destinées, ne venait-il pas de s’abîmer dans les flammes ? Les druides surtout faisaient valoir ces présages et échauffaient les imaginations. Quoique leur nombre fût déjà très diminué et leur autorité très affaiblie, ils avaient survécu aux édits et à la persécution de Claude ; au milieu de l’agitation et du trouble qui se répandaient alors dans la Gaule, à peu près abandonnée à elle-même, on les voyait reparaître, ranimant des souvenirs mal éteints, annonçant dans un langage mystique et coloré que les temps étaient accomplis, qu’une nouvelle période allait s’ouvrir pour le genre humain, que le ciel s’apprêtait à transférer la suprématie aux peuples transalpins et à leur donner le sceptre du monde. Les Trévires étaient restés fidèles à l’empire sous Caligula, sous Claude, sous Néron même. Caligula était né et avait grandi au milieu d’eux, auprès de sa mère Agrippine, qui passait l’hiver à Trèves quand son glorieux époux ne lui permettait pas de partager ses fatigues et ses dangers. Claude était le frère de ce Germanicus dont la mémoire était restée chère à toute la Gaule et aux Germains même qu’il avait domptés ; quelque chose du même prestige couvrait encore, malgré tous ses crimes, Néron, le petit-fils du héros. Lorsque C. Julius Vindex avait soulevé contre Néron la Narbonnaise, la Lyonnaise et l’Aquitaine, les Belges s’étaient joints aux légions du Rhin pour marcher contre lui et l’écraser. Galba, quoique bientôt reconnu par toute la Gaule, avait sévi contre tous ceux qui avaient combattu Vindex. Ainsi, pendant qu’il dépouillait les Lingons d’une partie de leur territoire, il ôtait aux Trévires leur liberté pour les réduire au rang de sujets provinciaux ; de là dans toute la Belgique un profond mécontentement. Vitellius, proclamé par l’armée de Germanie, avait été aussitôt accueilli et soutenu par toute la Gaule septentrionale ; mais Vitellius emmena en Italie l’élite des troupes qui défendaient les abords du Rhin. Il avait à peine franchi les Alpes que, sur la frontière de la Belgique et des deux Germanies, l’une et l’autre dégarnies et presque abandonnées, éclatait l’insurrection des Bataves. Elle était provoquée et dirigée par Civilis, barbare d’un hardi génie, qui savait assez l’histoire de cette Rome qu’il haïssait pour s’annoncer comme l’émule des Annibal et des Sertorius. Les Trévires commencèrent par essayer de couvrir l’empire : ils construisirent à travers leur territoire un vaste retranchement destiné à protéger leur capitale et à arrêter la marche