Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/661

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

du dessin, de l’élégance des formes, de la disposition relative des personnages, de la richesse et de l’harmonie des couleurs, de l’expression des gestes et des figures. Il n’est pas nécessaire, pour que telle de ses saintes familles nous transporte d’admiration, de penser précisément que cette femme est Marie, que cet homme est Joseph, et que cet enfant est Jésus : on voit un père, une mère et un enfant groupés d’une manière charmante, et cela suffit. De même les écoles flamande et hollandaise, arrivées à leur plus haut degré de développement, n’ont plus d’autre but que de procurer, sinon le sentiment du beau, du moins celui du pittoresque. Enfin l’école allemande, réalisant sa perfection dans Albert Durer, s’est efforcée d’éveiller surtout le sentiment du sublime. C’est à ce même sentiment que se sont adressés dans notre siècle l’idéalisme religieux d’Overbeck et l’idéalisme romantique des premiers peintres de Düsseldorf et particulièrement de Lessing. Quant à l’idéalisme de Kaulbach, il se rapproche plutôt, par ses tendances classiques, de celui des Italiens.

Des deux tendances qui règnent aujourd’hui en Allemagne, est-ce le réalisme qui est destiné à triompher ? Cette victoire serait le signe d’un grand affaiblissement du goût. Nous ne croyons pas heureusement qu’elle soit à craindre, et nous sommes même persuadé que dans le réalisme actuel, qui est loin d’exclure tout élément esthétique, on pourrait déjà trouver le germe d’une transformation prochaine. Nous croyons aussi qu’à toutes les époques le réalisme doit se conserver au moins dans une certaine mesure, et rester le partage des imaginations ordinaires et des talens de second ordre. De tout temps il y a eu des peintres qui ne faisaient que copier. L’idéalisme, dans sa forme la plus élevée, suppose des qualités supérieures et toujours rares : il est facile sans doute de devenir idéaliste par imitation, et c’est ce qui est souvent arrivé dans les écoles classiques ; mais, pour l’être avec indépendance et originalité, il faut une puissance d’imagination dont les natures d’élite peuvent seules être douées. N’oublions pas d’ailleurs que notre siècle n’est pas une époque de pure contemplation : nous vivons dans une période de transition et d’effort, d’amélioration économique et de transformation sociale, et il ne faut pas trop se plaindre de voir l’activité contemporaine s’absorber en grande partie, en vue d’un progrès nécessaire, dans les préoccupations positives et pratiques. Tout ce qu’on peut demander, c’est que le goût ne perde pas entièrement ses droits, et que, si le temps n’est pas encore venu pour lui de régner seul dans les arts, il y reprenne du moins la grande place qui lui convient.


LEON DUMONT.