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diversité des opinions et des systèmes, une impression esthétique.

La première fresque de Kaulbach représente au premier plan la Dispersion des peuples, et au second la Destruction de la tour de Babel, c’est-à-dire deux événemens qui, bien que rapprochés et corrélatifs, n’ont pu être complètement simultanés. Il est évident qu’au moment même où Jéhovah lança ses foudres sur les idoles et sur la tour, les peuples n’étaient point déjà en marche pour se répandre dans l’univers. Les deux actions sont du reste nettement séparées dans le tableau lui-même. Au centre se trouve le roi de Babel, à ses pieds, les idoles tombent foudroyées et écrasent son propre fils dans leur chute ; autour de cette scène, le désordre et l’épouvante. Sur une autre ligne se développe la seconde action : au milieu s’avancent les descendans de Cham, la race nègre et maudite, emportant avec elle ses hideuses divinités ; sur les physionomies de ce groupe se peignent l’abrutissement et la sensualité. à gauche est la race nomade de Sera, chassant ses troupeaux devant elle ; à droite viennent les descendans de Japhet, pleins de noblesse, de grâce et de vigueur. Dans un coin, l’architecte de la tour est lapidé par ses propres ouvriers. Malgré toutes les invraisemblances et le manque d’unité de cette œuvre, elle offre dans les détails et dans la disposition des élémens une saisissante beauté.

La seconde fresque représente la Jeunesse de la Grèce. Kaulbach s’est inspiré de ce passage d’Hérodote qui prétend qu’Homère dota la Grèce de ses dieux. Homère s’approche eh chantant du rivage, et la sibylle de Cumes dirige son esquif. Les héros, les poètes, les artistes, les philosophes se rassemblent pour l’entendre ; on peut reconnaître parmi eux le vieil Hésiode, Eschyle, Sophocle et Euripide, Aristophane, Pindare, Périclès et Alcibiade. Sur un arc-en-ciel s’avancent les dieux de l’Olympe, précédés des Grâces et des Muses ; Thétis et les Néréides sortent de la mer pour écouter le chantre divin. On sait à quelles objections peut donner prise ce mélange du surnaturel avec la réalité. Quant à la réunion dans une seule assemblée d’un grand nombre de personnages qui n’ont pas vécu à la même époque, il faudrait être singulièrement préoccupé de la réalité littérale pour chercher à ce propos chicané à l’artiste. Ne peut-il pas invoquer l’exemple de l’École d’Athènes ? L’action est une, et cela suffit ; en voit un poète qu’admire une foule attentive, et il n’est pas nécessaire, pour que le tableau satisfasse aux conditions de l’art, de nommer chacun des personnages. Que Kaulbach ait voulu prêter à telle de ses figures les traits d’un Grec de telle époque, à telle autre ceux d’un Grec d’un autre siècle, peu nous importe : n’est-il pas libre de prendre ses modèles où il lui convient ? Considérée comme une page d’histoire, cette fresque serait assurément absurde ; mais au point de vue de l’art elle devient