Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/651

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

air railleur. Un évêque conjure Othon de respecter ce lieu sacré. Le tombeau est éclairé par une double lumière : la porte laisse pénétrer quelques rayons de la lueur bleuâtre des souterrains, et au premier plan une torche que tient le guerrier à genoux projette ses jaunes reflets sur le cadavre impérial.

Nous avons pu voir, dans l’atelier même de l’artiste, une magnifique toile qu’il vient de terminer pour le Maximilianeum[1]. C’est la Bataille de Salamine. Le peintre a mis tant de soin à l’exécution de ce tableau, qu’il en a deux fois refait le carton avant de l’entreprendre ; le coloris est d’une richesse extrême ; à la lumière du jour se mêle de la manière la plus pittoresque la lueur rouge des vaisseaux incendiés. On y retrouve seulement l’exagération de mouvement commune aux tableaux de batailles : tant de gestes, tant d’efforts violens, brusquement interrompus, rappellent trop que c’est une toile qu’on a sous les yeux, et obligent le regard de s’en détourner pour laisser l’imagination se figurer la suite des attitudes. Il n’y a que ce qui est susceptible de permanence et d’une certaine stabilité qui puisse être contemplé longtemps sans fatigue. Il est vrai qu’ici l’on peut largement se dédommager en promenant successivement ses regards sur les nombreux détails de cette œuvre immense. Là est Thémistocle, ici Aristide ? d’un côté Eschyle combat, et Sophocle invoque les dieux ; de l’autre, Xerxès, assis sur son trône, contemple sa défaite. La reine Artémise lutte encore en fuyant, mais avec toute la bravoure d’un héros. Le vaisseau qui portait les femmes du roi de Perse est mis en pièces, et ces corps de femmes qui tombent dans la mer ont fourni au peintre l’occasion de consacrer à la beauté plastique un admirable premier plan. Dans le ciel apparaissent les héros d’Homère, qui volent au secours de leurs descendans. Ce mélange d’élémens surnaturels avec des faits historiques est une témérité que la critique réaliste ne peut pardonner à Kaulbach. C’est cependant là une des ressources précieuses de l’art classique, qui y trouve un moyen d’animer ses ciels, de produire des contrastes et d’ajouter à la beauté de ses groupes. Cette intervention des héros de l’Iliade était d’ailleurs, pour les Grecs eux-mêmes, l’objet d’une croyance légendaire, et c’est dans Plutarque que Kaulbach a dû en puiser l’idée.

L’œuvre capitale de Kaulbach, celle que ses admirateurs ont proclamée la plus remarquable de l’art moderne, ce sont les fresques dont il a décoré le vestibule du nouveau musée de Berlin. Ces fresques, peintes suivant le procédé stéréochromique, sont au nombre de six. On a dit que le peintre avait voulu y représenter par allégorie le développement de la civilisation ; mais comment figurer

  1. École normale d’administration à Munich.