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à cette petite scène rustique, un enfant se jette au cou de sa mère et reste suspendu à ses lèvres, comme la grappe au cep qui l’a produite. On n’en finirait pas, si l’on voulait énumérer tous les traits de ce genre qui se rencontrent dans ces chefs-d’œuvre de l’art contemporain. Par exemple, lorsque nous avons visité, au mois de septembre dernier, l’atelier de Kaulbach, le peintre était en train de dessiner une scène de l’Hermann et Dorothée ; au premier plan, deux bœufs traînent un chariot et passent près d’une fontaine : celui qui en est le plus rapproché trouve le temps, en allongeant le cou, de s’y désaltérer largement ; son camarade, attelé de l’autre côté, voudrait bien profiter de l’occasion ; tourmenté à la fois par la soif et la jalousie, il fait la mine la plus piteuse. Cela n’est encore qu’un détail dans la composition, mais il est impossible de rien offrir de plus gracieux et de plus expressif.

Nous avons dit que, dans ses grands tableaux d’histoire, Kaulbach s’était montré rigoureusement classique. Il excelle en effet à disposer les figures de ses groupes, à établir une correspondance harmonieuse entre les différentes parties de son œuvre, à les détacher clairement les unes des autres, et sous ce rapport il rivalise presque avec Rubens. Il sait choisir les formes les plus élégantes et les poses les plus gracieuses ; son coloris est distribué de main de maître ; il n’a point, comme plusieurs de ses compatriotes, cette horreur du nu qui, chez quelques-uns, provient d’une pruderie ridicule, et chez la plupart d’impuissance. Kaulbach n’est pas classique dans le sens étroit de l’école de David, qui, au lieu de s’inspirer largement de l’esprit de l’antiquité, s’est seulement efforcée d’introduire dans la peinture le style de la statuaire et a confondu deux arts différens. Le classicisme de Kaulbach est opposé à la fois au réalisme et au romantisme : au réalisme, en ce qu’il a restitué à la peinture sa fin véritable et relégué au second plan toute préoccupation d’utilité ou d’exactitude ; au romantisme, en ce qu’il essaie avant tout d’éveiller le sentiment de la beauté.

De toutes les compositions historiques de Kaulbach, la seule peut-être dont le sens ne frappe pas à première vue, et qu’on ne puisse comprendre sans avoir lu une page de livret, est celle qui se trouve au musée germanique de Nuremberg. En l’an 1000, l’empereur Othon III conçut, après une orgie, la fantaisie de visiter le tombeau de Charlemagne, enterré depuis environ deux siècles dans son caveau de la cathédrale d’Aix-la-Chapelle. Tel est l’événement que l’artiste a voulu représenter. Charlemagne est assis sur son trône, revêtu des insignes impériaux, terrible encore et plein de majesté. À sa vue Othon s’arrête étonné sur le seuil. Un vieux guerrier se laisse tomber à genoux ; un page recule épouvanté, tandis qu’un Lombard, encore pris de vin, montre le cadavre d’un