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fécondité. Les mœurs populaires, les sites les plus intéressans de l’Allemagne et même des pays étrangers, tous les événemens importans de l’histoire nationale ont été successivement étudiés avec la plus scrupuleuse exactitude. Ce qu’il y a de plus remarquable, c’est l’esprit d’ordre qui a présidé au partage de la besogne : tel peintre s’est attaché à observer exclusivement les mœurs de telle profession, tel autre celles de tel âge de la vie, un troisième celles de telle province. Il en est de même du paysage : chaque région de l’Allemagne a été décrite. Klein ne peint que des scènes bavaroises ou les mœurs des charbonniers ; Ritter et Jordan, de Düsseldorf, ne vivent qu’avec les marins et les pêcheurs ; J. Becker ne quitte pas les villages et les forêts de l’ouest de l’Allemagne ; Kaltenmoser ne représente que des vues et des scènes de la Forêt-Noire ; Gauermann et Ruben, de Vienne, s’établissent, pour n’en plus sortir, dans les montagnes du Tyrol et de la Bavière ; Burkel, de Munich, raconte les chasses de ces mêmes montagnes ; Meyer, de Brème, a consacré sa carrière d’artiste à peindre des scènes de l’enfance. D’autres ont fait des excursions en dehors de l’Allemagne : A. Achenbach, de Düsseldorf, a confié à la toile ses souvenirs de voyage en Norvège et en Italie ; il y a dans son talent une grande souplesse et beaucoup de variété ; les formes du nord et celles du midi lui sont également familières, et ses marines ne sont pas moins remarquables que ses vues de montagnes. Il passe en Allemagne pour un des plus grands paysagistes contemporains, et c’est peut-être celui qui compte aujourd’hui le plus d’imitateurs.

La plupart des peintres d’histoire de l’école réaliste ne font que cacher sous un certain éclat de coloris, ou sous une grande correction de dessin, la nullité de l’invention et la platitude de la pensée. Quelques-uns cependant ont su s’élever au-dessus de la médiocrité et donner à leurs compositions, sans s’écarter de la réalité, un caractère de beauté plus ou moins marqué. Les Allemands se sont d’ailleurs dans ce genre inspirés plus d’une fois de l’étranger : Piloty, par exemple, s’est distingué dans la manière de Gallait et de Paul Delaroche ; il est aujourd’hui le chef de l’école réaliste à Munich, où on l’oppose à Kaulbach, considéré comme le plus grand représentant de l’idéalisme classique. Piloty compte de nombreux disciples, qui tous ont une tendance à négliger, beaucoup plus encore que le maître, l’idéal au profit du réel[1]. La manière de Delaroche a été

  1. Nous citerons, parmi les tableaux de Piloty, l’Astrologue Seni devant le cadavre de Wallenstein, qui se trouve à la Nouvelle-Pinacothèque ; Wallenstein marchant vers Egra, où il doit être assassiné, toile qui n’est pas encore achevée ; le Triomphe de Germanicus, — la Promenade de Néron après l’incendie de Rome. Son Galilée en prison offre un effet de lumière remarquable : un rayon de soleil pénétrant par une lucarne élevée tombe sur le plancher, d’où il est réfléchi sur la figure du captif.