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Huss enfin était l’apôtre de la libre pensée humaine. Cette subtile interprétation nous parait bien hasardée, et l’on ne voit guère ce qu’y peut gagner l’œuvre de l’artiste. Sans recourir à l’allégorie, on saisit aisément le sens du tableau ; on y trouve simplement l’expression du caractère des différens personnages mis en scène, et il n’y a là rien qui s’éloigne des habitudes de la peinture d’histoire ; ce n’est point de l’allégorie, c’est tout au plus de l’idéalisme. Toutefois le plus grand titre de gloire pour Lessing est la beauté de ses paysages. Qui peut s’empêcher de rêver devant ces toiles profondément mélancoliques, où l’humanité intervient presque toujours à côté de la nature ? Tantôt l’artiste nous montre un guerrier qui se repose avec son cheval dans une forêt obscure : il y a là un silence qui fait frémir ; on mesure la profondeur de la forêt à la fatigue du cheval, on a la conception d’une immensité au sein de laquelle ce petit groupe est pour ainsi dire perdu ; l’homme ne sert là qu’à faire ressortir la grandeur de la nature. Tantôt c’est un cimetière inculte sous un ciel sombre et orageux, d’où il ne se détache qu’un seul rayon de soleil pour éclairer une tombe. Ailleurs nous apparaît un cloître couvert de neige avec une procession de religieuses qui vont enterrer une de leurs sœurs ; plus loin, le cimetière d’un cloître encore, également couvert de neige, où un vieux moine vient de creuser sa tombe. Un tableau moins sombre et empreint pourtant d’un charme mystique est ce paysage où est suspendue à un chêne une image de la madone : un chevalier et une noble damoiselle viennent de descendre de leurs montures pour s’agenouiller devant elle. Il est regrettable seulement que chez Lessing l’exécution ne soit pas toujours à la hauteur de la pensée.

Cette manière de peindre le paysage, non d’après la nature, mais d’après l’imagination, n’a rencontré en Allemagne que peu d’imitateurs. Cependant un autre artiste de l’école de Düsseldorf, Schirmer, peintre d’une grande habileté et au courant de toutes les ressources de son art, a également idéalisé le paysage, mais il ne l’a pas idéalisé comme Lessing ; au lieu de faire la nature plus sublime ou plus horrible qu’elle ne l’est en réalité, il a voulu la rendre plus belle. À l’exemple de nos paysagistes classiques, de Claude Lorrain et de Nicolas Poussin, c’est le côté architectonique du paysage qu’il a surtout cultivé (Chute d’eau de Terni, Grotte de la nymphe Egérie, etc.). Ses effets de lumière de soir et matin sont très remarquables.

C’est vers le second tiers de ce siècle que l’école de Düsseldorf a changé complètement de caractère, et elle en a changé sous une double influence : sous celle des tendances réalistes qui commençaient à se répandre dans les idées et les mœurs de l’Allemagne, et en outre sous celle de l’école de Munich, engagée depuis sa naissance dans