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la première condition du succès était qu’il se persuadât à lui-même et qu’il pût persuader à tout le monde que l’idée de ce choix lui appartenait en propre. Pour tourner la difficulté, Consalvi offrait un expédient infaillible. Il se trouvait par hasard que le conclaviste du cardinal Maury, l’abbé Pinto, homme sans importance, était admis dans la familiarité du cardinal Antonelli. Par son insignifiance, qui ne pouvait exciter ni jalousie ni défiance, c’était le personnage le plus propre à souffler au chef du parti Mattei une pensée dont celui-ci n’aurait ensuite aucune peine à réclamer toute la gloire. Le dévouement et la bonne volonté ne manquaient point à l’abbé Pinto pour servir son maître. On était sûr de lui. Les choses dûment arrangées, pendant que Maury faisait la leçon à son conclaviste, Consalvi alla prévenir le doyen du sacré-collège, le cardinal Albanie et le neveu du défunt pape, le cardinal Braschi. Leur surprise fut non moins grande que leur joie quand ils apprirent qu’il était question de Chiaramonti ; ils n’en pouvaient croire leurs oreilles. Tous deux promirent le plus grand secret. Il fut même convenu, pour plus de sûreté, que le jour où Antonelli viendrait, comme il était maintenant probable, faire lui-même les premières ouvertures, le cardinal Braschi témoignerait non-seulement de l’étonnement, mais une parfaite indifférence, et qu’il renverrait le chef du parti Mattei s’entendre à ce sujet avec le doyen du sacré-collège. Braschi, à ce qu’il paraît, joua très bien son rôle, et la conduite tenue par lui en cette circonstance contribua beaucoup, assure Consalvi, au succès d’un dessein si bien formé. C’est dans son récit qu’il faut lire la scène qui suivit, et qui toucherait vraiment à la plus haute comédie, si elle se fût passée partout ailleurs. On y voit le cardinal Antonelli rallier d’abord sans trop de difficulté tous les cardinaux de son parti ; c’est la moindre de ses peines. Là où son habileté triomphe, c’est dans les efforts qu’il fait pour convaincre de l’excellence de son invention les gens qui la lui ont suggérée. Hâtons-nous de dire qu’il y parvînt. A force d’instances, Braschi se rendit. Rien n’empêche de supposer qu’à la longue Maury, lui-même n’ait été amené à convenir que l’idée dont on l’entretenait pour la première fois était assez heureuse ! Si les mémoires de Consalvi ne lui ont pas été communiqués, le majestueux Antonelli a dû vivre et mourir dans la douce persuasion qu’à lui seul était due l’élection de Chiaramonti.

A partir de ce moment, tout marcha en effet le plus facilement du monde. « Cette élection, dit Consalvi, fut semblable à un feu d’artifice dont les étincelles passent d’une fusée à une autre avec la rapidité de l’éclair. Tous les cardinaux répétaient sans se cacher et sans mystère : « Le pape est fait ! Chiaramonti est pape ! » Le conclave retentit de cette nouvelle ; bientôt Venise entière l’apprit. Le