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cardinaux romains, toujours les plus nombreux dans les conclaves, évitent de choisir des candidats étrangers. Cette fois elle avait au contraire déterminé les votes de ceux qui sentaient la nécessité de complaire à l’Autriche ; mais l’Autriche n’était pas pour se contenter de si peu. Elle avait alors de plus hautes visées. Après avoir, par le traité de Campo-Formio, pris la Vénétie à ses alliés de la veille, elle ne songeait à rien moins, à cette heure, qu’à ravir les légations au saint-siège. Aucune puissance en Europe n’avait plus qu’elle jeté feu et flamme contre l’invasion des états pontificaux par les troupes françaises ; l’armistice du 23 juin 1796, signé entre Bonaparte et le saint-siège, avait excité toutes ses colères. C’était un moine allemand parti de Trente qui était venu organiser dans la Romagne l’armée dite « catholique et papale, » Des militaires autrichiens s’étaient mis ouvertement à la tête des bandes populaires qui s’étaient insurgées pour arracher ces provinces aux français. Le traité conclu plus tard à Tolentino, entre le chef des armées françaises et le cardinal Mattei, avait été l’objet de ses plus vives réclamations. Maintenant que, par suite des événemens de la guerre, le gouvernement de l’empereur se trouvait, à son tour, en possession des territoires cédés à la république française, de plus mûres réflexions l’avaient amené à changer d’avis sur la valeur de cette convention. La fortune des armes ayant rendu cette cour héritière des droits des Français, rien ne lui semblait plus naturel et plus légitime que de s’approprier des territoires si bien à sa convenance. La combinaison inventée par le ministre de l’empereur François, M. de Thugut, était des plus ingénieuses. Pour faire accepter les réclamations de l’Autriche, il ne s’agissait que de mettre simplement sur le trône pontifical le signataire même du traité de Tolentino. Son ambassadeur, le cardinal Herzan, avait donc pour instructions de favoriser l’élection du cardinal Mattei, en tâchant d’écarter tous les autres. Jusqu’à quel point le cabinet autrichien était-il assuré de la condescendance de son protégé ? — On allait jusqu’à prétendre, lisons-nous dans les mémoires de Consalvi, que la cour de Vienne s’était assurée des favorables dispositions de ce cardinal avant son entrée au conclave… Je n’ai pas des preuves proportionnées à l’importance du soupçon… Toutefois l’éminente piété du cardinal lui fait croire que ces bruits étaient faux ; tout au plus furent-ils occasionnés par une parole peu réfléchie de Mattei, que de plus vives lumières ou de plus mûres inspirations l’auraient empêché de tenir en cas d’élection.— Ce que par charité sans doute Consalvi ne rappelle point, ce que chacun savait dans le sacré-collège et rappelait alors volontiers dans l’intimité des conversations particulières, c’était le manque de dignité dont le cardinal Mattei avait fait preuve