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Industrieux par nature et par besoin, le Kabyle tire parti de tout : il ne perd pas les glands doux, qui, à défaut de froment et de maïs, peuvent servir à préparer son kousskouss, ni les feuilles de figuier et de frêne, qui peuvent nourrir son bétail[1]. En pays de forêt, il devient bûcheron et menuisier, fabrique des portes, des coffres, des ouvrages de bois, et fournit ainsi presque toute la vaisselle indigène de l’Algérie. Ailleurs il taille la pierre, ou se fait forgeron, armurier, orfèvre. Les meules des Aït-Mellikeuch sont renommées, aussi bien que les platines, les canons de fusil, les bijoux. des Aït-Ienni. La femme kabyle aime à se parer ; rarement on la rencontre sans des boucles d’oreille et des bracelets d’argent ou de cuivre ; c’est le bijoutier des Aït-Ienni qui passe pour le grand fournisseur des colliers, des agrafes, des diadèmes ou ferronnières dites thacebt, à pendeloques de corail et de verroteries, que toute mère kabyle porte fièrement à la naissance d’un garçon, — bijoux grossiers, faits pour étonner cependant par le goût qui s’y révèle[2].

Avec le tan de leurs chênes, diverses tribus travaillent le cuir ; d’autres, avec le charbon du laurier-rose, font de la poudre. L’argile, fort répandue dans ces terrains schisteux, sert à la fabrication des tuiles et de poteries souvent remarquables, telles que jarres, vases, lampes de forme étrusque, dues exclusivement à la main des femmes. Jamais la femme kabyle ne nous est apparue plus gracieuse et jolie qu’au retour de la fontaine, avec son amphore remplie d’eau qu’elle porte à l’antique, droite sur l’épaule, où elle la retient de ses deux bras levés. Le tannage des peaux de bouc, la teinture des laines et le tissage sont aussi des industries spéciales aux femmes. Elles tissent dans leurs maisons, sur un métier élémentaire, le lin et la laine, fabriquent des toiles pour l’exportation, et travaillent aux vêtemens des hommes et aux leurs. En cela pourtant elles n’ont pas beaucoup à faire, vu le peu de soin que le montagnard prend de sa personne : chez la femme encore, la coquetterie combat la malpropreté de race ; mais l’homme est sale et porte chemise ou burnous jusqu’à la corde.

Tout peuple industrieux cherche dans le commerce un débouché aux produits de ’son travail. Le Kabyle a de plus à se fournir sans

  1. Le Djurdjura élève des bœufs, vaches, moutons et chèvres, ânes et mulets. — La chasse y est assez pauvre ; les perdrix et les lièvres sont rares ; on trouve surtout des sangliers. On rencontre la panthère dans le Haut-Sébaou, chez les Aït-Flik, les Aït-Robri et les Aït-Idjer, parfois même le lion, qui cependant recherche davantage le versant de l’Oued-Sahel. Les singes sont nombreux dans les montagnes des Guechtoulas au-dessus de Dra-el-Mizan.
  2. La tribu des Aït-Ienni est également connue au loin pour sa fausse monnaie ; fabriquée dans les ateliers spéciaux d’un de ses villages, cette fausse monnaie se répand jusqu’en Tunisie, où elle se vend sur les marchés comme une vraie denrée.