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L’humus dans les vallées. Hors des vallées et de quelques coteaux fertiles, le sol de la montagne est surtout propre à la végétation ligneuse ; les Kabyles le comprennent et concentrent sur leurs arbres à fruits, principalement sur le figuier et l’olivier, leur travail et leurs espérances.

Le figuier est une ressource à la fois alimentaire et commerciale ; il croît vite : si on l’abat, il n’exige que quatre ou cinq ans pour reprendre son développement complet. C’est d’ancienne date que la caprification se pratique dans la Djurdjura. « Qui n’a pas de dokkar n’a pas de figues, » dit un vieux proverbe kabyle. Or le dokkar est le fruit du figuier mâle ou caprifîguier (ficus caprificus) ; ce fruit, petit, à saveur acre, est une espèce hâtive, déjà mûre quand les autres figues sont vertes encore. On le cueille, et l’on en groupe un certain nombre qu’on suspend, sous forme de chapelet, aux branches des figuiers femelles ; le dokkar, en se desséchant, laisse échapper par l’œil du sommet une foule de petits insectes ailés, à corps velu, agens précieux de fécondation, qui s’introduisent dans les fruits femelles et en accroissent la qualité et l’abondance[1]. Écoutez le Kabyle, il vous assurera que « chaque insecte féconde quatre-vingt-dix-neuf figues, et que la centième est son tombeau. » Le caprifîguier ne réussit pas également dans toute la montagne ; il fuit le voisinage de la mer ; les tribus qui en produisent le plus en sont fières et souvent avares[2] : au moindre symptôme de guerre, elles se hâtent d’en défendre l’exportation. C’est à la figue blanche seulement que la caprification s’applique ; l’espèce violette n’en a pas besoin. Pourquoi alors le Kabyle ne la cultive-t-il pas de préférence ? C’est que la figue violette n’est guère bonne que fraîche et se conserve peu ; la figue blanche sert à la nourriture de l’année entière et se prête aux transports les plus lointains. Quand la maturité, des figues paraît proche, il est de tradition que la djemâ se réunisse pour interdire à tout Kabyle, propriétaire ou non, d’en cueillir avant une époque fixée. Lors de la maturité complète, l’assemblée lève l’interdit et punit ceux qui l’ont violé. Séchées sur des claies, les figues, après quinze ou vingt jours, se placent dans des paniers ou des peaux de bouc et s’exportent au loin en pays arabe.

L’olivier est la vache du Kabyle, la richesse du Djurdjura ; il y atteint des dimensions et une fécondité merveilleuses. Nous avons vu des oliviers kabyles mesurer plus de deux mètres de diamètre à la base ; ils forment de vraies forêts chez les Guechtoulas et les Menguellet, et dans la confédération des Aït-Iraten, où cependant

  1. Le dokkar produit deux sortes d’insectes, des noirs et des rouges ; les noirs seuls sont fécondans.
  2. Les Aït-Fraoucen et les Aït-Iraten.