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Le prix marchand d’une femme peut varier entre 70 et 1,200 fr., suivant sa beauté, l’importance de sa famille, l’amour qu’elle a inspiré. Dans quelques villages, la coutume spécifie un taux qu’on ne saurait dépasser ; plus généralement, la valeur de la femme subit, avec les années bonnes ou mauvaises, des hausses et des baisses qui suivent le mouvement de la fortune publique. Une fois l’achat conclu, plusieurs marabouts et témoins se réunissent ; le prix est stipulé verbalement devant eux ; on ne rédige aucun acte[1], on ne demande à la fiancée aucun consentement ; la simple stipulation du prix faite devant témoins, suivie de la lecture du fatah, suffit à consommer le mariage légal.

Souvent l’on marie une fille avant l’âge de douze ans[2] ; si elle est réputée trop jeune pour suivre son mari, elle continue à vivre sous le toit paternel, où se donnent grand repas et grande fête le soir du mariage. L’époux ne paie la somme convenue que le jour où il conduit sa femme à la demeure conjugale. Elle s’y rend à dos de mule, recouverte d’un burnous qui la cache complètement aux regards, et des coups de fusil, des cris de joie, une fête nouvelle l’accueillent dans sa nouvelle famille.

Quand il lui plaît, sans alléguer aucun motif, le mari peut dire à sa femme : « Va-t’en, je te renvoie. » Elle est obligée d’aller attendre chez ses parens qu’il la veuille rappeler. S’il s’y refuse, la répudiation devient définitive, et le mari reste libre d’épouser une autre femme ; mais la chaîne du premier mariage, brisée pour lui, ne cesse point de lier injustement la femme, qui n’obtient que par le divorce le droit de se remarier[3]. Lorsque l’époux, au lieu de la renvoyer simplement, lui dit : « Je divorce, » ce mot, prononcé devant témoins, suffit à rompre le mariage. Le divorce n’aura toutefois ses pleins effets à l’égard de la femme que du jour où sa famille rendra au mari le prix d’achat qu’il avait donné en l’épousant[4]. Si les parens ne paient pas, la femme n’a plus à espérer son rachat que d’un autre homme qui, pour l’épouser, acquittera sa dette envers le premier mari. Les conjoints trouvent donc au divorce plus d’avantage qu’à la répudiation. Ils reprennent ensemble leur liberté, le mari reprend de plus son argent, et la plupart des Kabyles

  1. Les actes de l’état civil sont inconnus en Kabylie pour le mariage comme pour les naissances et décès.
  2. La coutume ne fixe pas d’âge, ni pour les hommes ni pour les femmes.
  3. La femme répudiée s’appelle tamaouok, ce qui veut dire retenue. Une veuve sans enfans doit rentrer dans la maison du père, qui peut la vendre de nouveau. Comme dans la loi musulmane, la veuve attend quatre mois et dix jours avant de se remarier. La divorcée attend trois mois seulement.
  4. Le mari, dans la formule du divorce, peut stipuler un prix moindre que le prix d’achat ; il dit alors devant témoins : « Je divorce à tel prix. »