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Le souvenir de cette campagne a vieilli trop vite. C’est peut-être qu’elle eut lieu au lendemain de la guerre de Crimée, à la veille des victoires d’Italie. Entre ces deux brillantes sœurs, elle ne prit pas le relief qu’elle méritait : a-t-on jamais su dans le public de France qu’à la vue de nos tentes assises sur les crêtes du Djurdjura les indigènes des vallées s’écriaient avec admiration : « Les Français sont un grand peuple, ils sont montés là-haut[1] ? » A-t-on songé qu’il y avait un fait historique considérable dans la conquête de toute une population que les plus puissans dominateurs du nord de l’Afrique, anciens ou modernes, n’avaient pas assujettie ? Se rappelle-t-on seulement que cette soumission achevait, il y a huit ans, la pacification générale de notre colonie algérienne sur une profondeur de cent trente lieues vers le sud et une étendue, le long de la côte, de deux cent cinquante lieues ?

Les temps sont changés depuis cette belle époque de sécurité et d’espérance ; mais l’attitude actuelle de la Grande-Kabylie rajeunit l’œuvre de 1857 et lui rend son éclat, car ce fut plus qu’une œuvre de guerre habile et victorieuse, ce fut une œuvre d’organisation et de paix étudiée, mûrie, fondée sur les institutions nationales des vaincus. En même temps que Fort-Napoléon s’élevait sur la cime de leurs montagnes pour bien montrer que désormais on les voulait dominer, le maintien de leurs immunités nationales témoignait qu’on ne les voulait pas asservir. Ils furent contens alors, ils le prouvent aujourd’hui.

En vérité, l’opinion étrangère accuse trop volontiers la France de ne savoir pas organiser ses conquêtes : l’on accordera bien au moins que le repos de la Kabylie est un sérieux succès d’organisation ; mais, s’il est vrai même que le caractère français nuise par ses impatiences au développement et à la conservation de nos colonies, l’influence d’un grand peuple ne se mesure pourtant pas aux seules traces matérielles qui subsistent ou au profit qu’il recueille. Est-ce que, pour avoir perdu les Indes, la Louisiane, le Canada, la France y a laissé moins vivant le prestige de son nom ? Et, s’il doit jamais se fonder quelque chose de stable au Mexique, ne sera-ce pas encore grâce au drapeau français, symbole d’ordre et de civilisation dont le souvenir restera là-bas comme le plus sûr garant de l’œuvre qu’il aura commencée ?

  1. Nous avons nous-même entendu cette parole en 1857 dans la vallée du Sébaou,