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Tant que l’insurrection était debout, on ne devait se préoccuper que de la vaincre, et le soldat d’Afrique a marché au feu, comme toujours, sans compter ni ses ennemis ni ses alliés ; mais au lendemain de la crise, quand surtout rien n’assure qu’elle ne se puisse renouveler, n’est-il pas à propos de considérer sérieusement les amis indigènes qu’on a gardés, moins pour s’aveugler sur leur dévouement que pour travailler à le raffermir ? C’est à ce titre que nous voudrions rechercher les causes qui expliquent l’attitude favorable des Kabyles de la Grande-Kabylie, — examiner si leur conduite d’aujourd’hui est un symptôme passager, ou si elle ne promet pas plutôt des auxiliaires précieux à notre œuvre de civilisation et de progrès en Afrique.

Et la question n’est pas d’un faible intérêt. Le peuple kabyle appartient à la grande famille berbère, maîtresse jadis de tout le nord de l’Afrique. Ses origines et son histoire nous le montrent bien antérieur à l’élément arabe en Algérie, dérivant d’une race toute distincte, parlant une langue toute différente. Ce peuple occupe, soit dans les montagnes du Tell, soit dans les oasis du Sahara, près du tiers de l’Afrique française[1]. Si en des points divers il a subi l’influence du contact arabe, il n’a nulle part complètement perdu le souvenir de son origine, et toujours il aimera, croyons-nous, à revenir aux traditions de sa vraie race.

Le foyer de cette race le plus considérable se trouve dans la Grande-Kabylie ; mais son essence vraiment pure s’est concentrée sur les versans mêmes du Djurdjura et sur les rives du Haut-Sébaou[2]. C’est la contrée que les indigènes nomment fièrement le

  1. Dans la province d’Alger, les populations de la Métidja, sauf les Beni-Hallil et les Beni-Moussa, sont d’origine kabyle ; il en est de même entre Ténès, Cherchell et Milia-nah, — aux environs de Teniet-el-Had, — dans la confédération des Beni-Mzab, l’oasis de Ouargla, etc. La province d’Oran a des Kabyles entre Sebdou et le Maroc, et les deux tiers de la province de Constantine sont peuplés de Kabyles répandus entre Collo et Djidjelli, dans le caidat de l’Oued-Kébir et dans l’Aurès.
  2. On appelle Djurdjura le pâté de montagnes le plus élevé de la Grande-Kabylie. La chaîne principale, d’où naissent de puissans rameaux, commence à vingt lieues est d’Alger ; elle court, pendant une quinzaine de lieues, parallèlement à la mer, dont elle est distante d’environ dix lieues, puis elle s’infléchit vers le nord et s’abaisse en se rapprochant de la côte ; Le long du versant sud coule l’Oued-Sahel, dont l’embouchure est à Bougie ; le long du versant nord, le Sébaou, qui prend sa source dans le Djurdjura même et se jette dans la mer auprès de Dellys.