Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/529

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

hésitans, inquiets sur le sens du spectacle qui nous attendait à l’intérieur.

Parmi les ouvrages destinés à propager ces utiles connaissances, il faut nommer la publication des Grandes Usines[1]. Décrire les opérations des plus vastes fabriques, faire comprendre la diversité et l’importance des manipulations qui s’y exécutent, des perfectionnement successifs apportés dans chaque branche industrielle, tel est le programme que s’est tracé l’auteur de ce livre ; mais dans quelle mesure et de quelle manière l’a-t-il rempli ?

Le premier titre de l’ouvrage faisait attendre une sorte de monument élevé à notre industrie nationale. Pourquoi l’auteur a-t-il ajouté plus tard aux Grandes Usines de France les grandes usines de l’étranger ? Jusqu’ici son livre ne traite, en fait d’usines étrangères, que des mines et fonderies de zinc de la Vieille-Montagne. Était-ce la peine pour si peu de dénaturer, par un énoncé qui n’a plus rien de précis, la portée d’un ouvrage scientifique ? Un reproche plus grave qu’on peut adresser à l’auteur, c’est que le livre sur les Grandes Usines ne répond même pas à son titre. Les Gobelins, Sèvres, Saint-Gobain, Baccarat, ou les établissemens de MM. Derosne et Call, Petin et Gaudet, Pleyel et Wolf, représentent à coup sûr la grande industrie et des entreprises connues dans le monde entier ; mais que viennent faire sur la même liste la literie Tucker, par exemples la parfumeries Piver, l’imprimerie Paul Dupont ? Nous sortons là, l’écrivain lui-même le reconnaît, du cercle des grandes usines : alors pourquoi inscrit-il ces noms dans son panthéon industriel ? Pourquoi, à cette infraction flagrante au programme qu’il s’est lui-même tracé ajoute-t-il un nouvel écart et nous parle-t-il, à propos des grandes usines, des charbonnages des Bouches-du-Rhône, des pépinières d’A. Le Roy, et même de l’établissement thermal de Vichy ? Ce ne sont pas là des usines dans le sens rigoureux du mot. Et d’ailleurs, puisque le cadre du livre s’élargissait à ce point, ne fallait-il pas faire connaître avant tout ces magnifiques houillères du bassin de Saint-Etienne ou de celui de Saône-et-Loire, bien autrement intéressantes que celles où s’arrête M. Turgan ? Et, parmi les grandes usines nationales, où sont les salines et les fabriques de produits chimiques du midi qui alimentent le commerce de Marseille ? Où sont les vastes chais de Cette et de Bordeaux qui élaborent ces vins et ces eaux-de-vie dont le monde entier est tributaires, et les caves de la Champagne et de la Bourgogne, qui ne leur cèdent en rien pour l’importance de la production ? Les grands ateliers du Creusot, dignes rivaux de ceux de l’Angleterre et des États-Unis, les chantiers de construction des Messageries impériales à Marseille, à La Ciotat, à La Seyne, près de Toulon, la manufacture d’armes de Saint-Étienne, les fabriques

  1. Les Grandes Usines, études industrielles en France et à l’étranger, par M. Turgan, 4 vol. in-4o ; Michel Lévy, 1861-1865.