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et la pointe des passions. Elle joint à une pureté de mœurs admirable une sensibilité extrême, à la plus grande modestie un désir de plaire qui suffirait seul pour y réussir… On a toute la liberté de son esprit avec elle ; on le doit à la pénétration et à la délicatesse du sien. Elle entend si promptement et si finement qu’il est facile de lui communiquer toutes les idées qu’on veut sans s’écarter de la circonspection que son rang exige. » Une gaîté bienveillante ajoutait au charme de son caractère. « Nulle personne n’entend si bien la plaisanterie, écrivait le président Hénault ; elle rit volontiers, son amitié est douce, car personne au monde ne sent si bien les ridicules, et bien en prend à ceux qui les ont que la charité la retienne : ils ne s’en relèveraient pas. » Rarement souveraine fut l’objet d’une aussi grande vénération ; son arrivée était un jour de fête, son départ faisait couler des larmes. « N’est-il pas bien admirable, disait-elle, que je ne puisse quitter Compiègne sans voir tout le monde pleurer ? Je me demande parfois ce que j’ai fait à tous ces gens que je ne connais pas, pour en être tant aimée. Ils me tiennent compte de mes désirs. »

Mme de Pompadour avait beau recevoir, étendue sur sa chaise longue, ne se lever pour personne, pas même pour les princes du sang, et ne rendre aucune visite, même aux duchesses : ce qu’elle ambitionnait le plus au milieu de ses splendeurs, c’était un sourire, une parole bienveillante de la reine, et le jour le plus brillant de sa carrière fut à ses yeux celui où, après avoir fait solennellement ses pâques à l’église Saint-Louis de Versailles, en 1756, elle fut nommée dame d’honneur de Marie Leczinska. La reine, moins choquée peut-être d’avoir pour rivale une bourgeoise que des femmes d’un haut rang, ne faisait entendre aucune plainte, et Mme de Pompadour, qui avait trop d’esprit pour ne pas comprendre l’ignominie de sa position, essayait de se la faire pardonner à force de témoignages de soumission et de respect. Le duc et la duchesse de Luynes étaient même quelquefois les intermédiaires de ces relations d’un ordre étrange entre la maîtresse et la femme légitime, et rien ne peint mieux les mœurs du temps que les détails qu’on trouve à ce sujet dans les mémoires du duc.

Marie Leczinska est la dernière des souveraines qui soit morte sur le trône de France. Son règne dura quarante-trois ans, et pendant cette longue période elle sut toujours se faire respecter. Si on lui pardonna son élévation, c’est qu’elle avait ces qualités modestes qui sont l’ornement le plus solide et le charme le plus durable de la femme. Elle ne faisait ombrage à personne ; tout le monde se plaisait à reconnaître en elle les vertus d’une bourgeoise, les manières d’une grande dame, la dignité d’une reine. Dans cette vie d’étiquette et de continuel apparat où, suivant une belle expression de l’infortunée Marie-Antoinette, on ne peut s’écouter vivre, elle parvenait à se créer au milieu du bruit une solitude, et, comme elle le disait, à mourir au monde et à elle-même. Son influence morale sur la cour et sur l’esprit de Louis XV fut plus considérable qu’on ne serait tenté