Page:Revue des Deux Mondes - 1865 - tome 56.djvu/526

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

administration des finances, des revers de l’armée, de tous les désastres. On lui écrivait souvent des lettres anonymes où on la menaçait de l’assassiner, et ce qui l’affectait plus encore, c’était la crainte d’être supplantée par une rivale. Elle voyait avec terreur les premiers ravages du temps sur sa beauté. Elle sentait toute la vérité de cette parole de la maréchale de Mirepoix, son amie : « C’est votre escalier que le roi aime, il est habitué à le monter et à le descendre ; mais s’il trouvait une autre femme à qui il parlerait de sa chasse et de ses affaires, cela lui serait égal au bout de trois jours. »

La reine, tout abandonnée qu’elle fût par le roi, souffrait moins que la marquise. Entourée de l’estime et de la sympathie respectueuse de tous ceux qui avaient l’honneur de l’approcher, elle trouvait dans le fond de sa conscience un refuge contre les humiliations extérieures, et son calme contrastait avec les perpétuelles alarmes et les agitations de la favorite. Vertueuse sans affectation et digne sans excès de gravité, la cour de Marie Leczinska consolait les regards et le cœur des gens de bien. Là subsistait encore le respect des convenances et de l’ancienne étiquette ; là on savait goûter d’honnêtes délassemens et des amitiés pures d’intrigue. C’était comme un sanctuaire de piété au milieu des corruptions de Versailles. Le président Hénault et le duc de Luynes, admis dans l’intimité quotidienne de la reine, nous font connaître parfaitement tous les traits de son caractère et les moindres détails de sa vie. Elle avait le rare talent de bien choisir ses amitiés. Elle s’était toujours souvenue des conseils de son père, qui lui avait recommandé, dans un mémoire composé pour son éducation, la société de « ces personnes vertueuses dont l’humeur est douce et le cœur bienfaisant, dont la bouche exprime la franchise, et une physionomie sans art la candeur, qui, sévères sans misanthropie, complaisantes sans bassesse, vives sans emportement, ne louent ni ne blâment jamais par prévention et par caprice. » Marie Leczinska était digne d’inspirer des amitiés sincères, car elle en ressentait elle-même. Élevée, dans sa jeunesse, à l’école du malheur, elle comprenait mieux que personne le prix du dévouement. Le duc et la duchesse de Luynes vivaient dans son intimité, et sa sympathie, sa tendresse pour ces deux fidèles serviteurs ne se démentirent pas un instant. Les plus courtes absences de la duchesse paraissaient à la reine d’une éternelle durée. Elle lui écrivait alors lettres sur lettres, et toute son âme se peint dans cette correspondance enjouée, amicale, pleine de cœur. « Savez-vous le plaisir que je me suis donné hier soir ? écrivait-elle à la duchesse le 2 janvier 1751. J’ai été surprendre M. de Luynes chez lui. Je ne puis dire la joie que j’ai eue de revoir votre appartement ; j’y suis restée un moment pour la ménager, car à la longue, ne vous y trouvant point encore, j’ai eu peur de ce qui aurait pu lui succéder. Les plaisirs qui ne sont que dans l’imagination ont besoin d’être ménagés. J’attends avec impatience le réel. » Mme Du Deffand disait de la reine : « Ses vertus ont pour ainsi dire le germe