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qui avait fait détruire la magnifique cascade de Marly pour la remplacer par une pelouse de verdure. »

Les malheurs de la Pologne n’étaient pas les seuls sujets d’affliction de la reine. Le cœur de son époux lui échappait, et Louis XV était déjà sur la pente de scandale qu’il devait descendre à pas précipités ; Bien que la reine lui eût donné dix enfans, il n’avait pour elle que de l’estime et ne lui témoignait pas d’affection. Les mémoires du duc de Luynes sont le tableau le plus complet de l’intérieur royal. Les amours de Louis XV pour les quatre sœurs de Nesle, toutes quatre dames du palais, et les rapports journaliers de la reine avec les favorites, le départ du roi pour la campagne de Flandre, les vaines sollicitations de Marie Leczinska pour l’accompagner à la frontière, le triomphe de la duchesse de Chateauroux, qui obtint cette faveur, la maladie du roi à Metz, son repentir, quand il appelle à lui la reine, ses remords qui disparaissent en même temps que ses souffrances, les courtisans intimes qui s’aperçoivent qu’il va bientôt rougir de sa vertu comme d’une faiblesse, sa lettre humble et passionnée à la duchesse de Châteauroux pour la supplier de revenir à la cour, enfin la mort soudaine de la jeune favorite, qui ne survit que quelques jours à sa honteuse victoire, ce sont là des récits pleins de mouvement et d’intérêt. Ils donnent l’idée la plus exacte des mœurs de cette époque, où l’avocat Barbier disait avec un mélange de cynisme et de naïveté : « Sur vingt seigneurs de la cour, il y en a quinze qui ne vivent pas avec leurs femmes et qui ont des maîtresses. Rien n’est même si commun à Paris et entre particuliers. Il est donc ridicule que le roi, qui est bien le maître, soit de pire condition que ses sujets et que tous les rois ses prédécesseurs.

Le duc de Luynes, qui voyait à toute heure le roi, la reine et la marquise de Pompadour, en a tracé les plus fidèles portraits. Une réflexion morale ressort de cette lecture, c’est que de ces trois personnages ce fut encore la reine qui eut la plus grande somme de bonheur.

N’estimant ni les autres ni lui-même, mécontent de tout, comme les hommes qui font le mal en ayant la conscience du bien, saturé de viles adulations, et pour ainsi dire, suffoqué par une atmosphère trop chargée d’encens, Louis XV vivait sans confiance dans son règne, sans espoir dans l’avenir. Devenu, par suite d’une mauvaise éducation, de sensible et doux, égoïste et vicieux, il s’enfermait dans une taciturnité dédaigneuse et regardait les hommes et les choses d’un œil indifférent et impassible. Un jour que la reine se plaignait auprès de lui du refus opposé par un ministre à une de ses recommandations : « Que ne faites-vous comme moi ? répondit-il. Je me demande jamais rien à ces gens-là. » Il se regardait lui-même, au dire de Duclos, comme un prince du sang disgracié, n’ayant aucun crédit à la cour. Cependant, suivant une remarque d’un homme qui le voyait sans cesse, — Le Roy, le lieutenant des chasses de Versailles, — il prenait quelquefois, par crainte de paraître dominé, des airs glacés et des regards