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Petit-fils par sa mère du fameux marquis de Dangeau, le duc de Luynes eut comme la survivance de son aïeul. C’est le Dangeau du règne de Louis XV, mais avec plus de dignité dans le caractère, avec moins de penchant pour l’adulation. Sans avoir de charge à la cour, le duc jouissait d’une estime toute particulière auprès du roi et de la famille royale, et il était en position de tout observer. Les détails dans lesquels son zèle de courtisan et sa conscience de narrateur se complaisent avec un soin qui va jusqu’au scrupule semblent au premier abord puérils et fastidieux ; mais aussi, au bout de quelques pages, on croit connaître soi-même les nombreux personnages qui reviennent sans cesse sur la scène, on se familiarise avec tout ce monde qui ressuscite, on finit par prendre intérêt aux moindres questions d’étiquette, à ce tourbillon éphémère de joies et de tristesses, à ce pêle-mêle de vanités qui se croisent et s’entre-choquent. Rien d’ailleurs ne nous instruit mieux de toutes les particularités du caractère et de l’existence de la femme de Louis XV ; on est auprès de la reine, on l’entend, on la voit.

Il fallut à Marie Leczinska beaucoup de droiture et de bon sens pour se prémunir, dès le début de son mariage, contre les imprudences qu’une femme jeune, étrangère, inexpérimentée, aurait pu si facilement commettre. Au milieu de cette société dissolue, où tout était dérangé dans les esprits et dans les mœurs, elle sut maintenir son rang et empêcher la calomnie d’arriver jusqu’à elle. L’élévation imprévue de sa fortune aurait pu cependant lui susciter de bien grandes jalousies.

Louis XV, âgé de moins de seize ans (Marie Leczinska, née en 1703, avait près de sept ans de plus que lui), était alors le plus bel adolescent du royaume. Sa figure douce et imposante malgré son extrême jeunesse, sa distinction suprême, sa taille élégante, son teint comme éclairé par le reflet d’une lumière intérieure, lui donnaient un charme presque idéal. « Il n’était pas en France, dit Mme d’Armaillé, un vieillard qui ne le chérît paternellement, pas une femme qui ne priât pour sa conservation avec un religieux et sincère enthousiasme. » Qui obtenait la gloire d’épouser cet enfant privilégié du ciel ? Une pauvre princesse inconnue, fille d’un gentilhomme polonais créé roi par un caprice de Charles XII, puis jeté dans l’exil, et, après mille péripéties, vivant, pour ainsi dire, de l’aumône du roi de France, dans les murs délabrés de la vieille commanderie de Weissembourg. Lorsque le sieur Lozillières, ancien secrétaire de l’ambassade de France à Turin, avait été envoyé en Allemagne, avec le titre de chevalier de Méré, pour y passer en revue les princesses à marier, il avait transmis au duc de Bourbon une liste que l’on trouve dans les pièces justificatives de l’ouvrage de Mme d’Armaillé. Cette liste contenait l’énumération de vingt-sept princesses avec des notes sur chacune d’elles. Sous le numéro 18, on lisait la mention suivante : « Marie Leczinska, fille de Stanislas Leczinski. Il a plusieurs parens peu riches, mais on ne sait rien de personnel