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REVUE LITTÉRAIRE.

LES ROMANS NOUVEAUX.

Ce n’est ni l’étendue du récit, ni l’ampleur démesurée et trompeuse des combinaisons, ni l’artifice laborieux des procédés, qui importent en tout ce qui relève de l’imagination, dans ce qu’on appelait autrefois de ce nom aimable et fin de belles-lettres. Rien de tout cela ne compte, pas plus que le temps, qu’on a mis à faire un sonnet, comme disait Molière. Une œuvre de l’esprit peut fort bien être étendue, fortement nouée, savamment compliquée, puissante en apparence, sans cesser d’être une création vulgaire, équivoque, prétentieusement vaine, et, pour tout dire, d’un ordre subalterne. L’œuvre la plus courte au contraire, la plus simple ou la moins recherchée de pensée et de forme, peut être sans nul doute le fruit exquis de l’art le plus rare et le plus élevé. L’essentiel est d’exprimer en toute sincérité des sentimens vrais, de manier d’une main délicate et ferme les mystères du cœur, de saisir une situation dramatique, de reproduire avec fidélité, avec une inspiration juste, une des mille nuances de la vie humaine. À ce prix, une invention littéraire, quelle que soit sa forme, quelle que soit son étendue, devient sans effort une œuvre selon l’esprit et selon le cœur, c’est-à-dire vraiment une œuvre d’art ; une histoire de quelques pages, conçue avec feu et vivement conduite, s’élève d’un seul coup au niveau des créations supérieures, de ce qu’on pourrait appeler le grand roman, tandis que d’autres se traînent confusément à travers toute sorte de cahots, n’excitant le plus souvent qu’un intérêt vulgaire, sans s’élever jamais au-dessus de ce que nous nous permettions, l’autre jour encore, d’appeler le petit, roman. Non, décidément, l’art n’est pas ce que croient ceux qui se servent de son nom avec une si vaniteuse complaisance, et il peut se rencontrer quelquefois, il peut briller de son plus doux éclat dans des œuvres furtives qui ne font rien pour attirer le bruit, qui sont une révélation ingénue et soudaine. C’est là justement ce que je me disais en mettant à côté de tant de romans ambitieux et puérils cette simple et modeste histoire du Péché de Madeleine, qu’on n’a pu lire l’an passé sans une sérieuse émotion, et qu’on va relire sous sa forme nouvelle dans ce petit volume où elle reparaît aujourd’hui. On le relira, ce petit roman, comme on relit ces livres intimes et familiers qui ont le charme douloureux de la vie, où on croit sentir sous la fiction palpiter un cœur brisé, et si ce n’est pas l’épanchement d’un cœur parlant par sa