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d’un événement politique, de 1848 ou de 1851. Il n’était point parmi nous un intrus soudainement imposé à la renommé par une révolution, il datait de sa propre jeunesse, accueillie avec une bienveillance générale, épanouie en pleine société parisienne. M. de Morny entra jeune dans le monde ; il eut de bonne heure la réputation d’être heureux et fut tout de suite favori. Il avait été élevé, on le sait, par cette femme distinguée, Mme  de Souza, qui nous a laissé dans ses romans de si charmantes marques de son esprit. Nous avions naguère ici réveillé en lui ces souvenirs de sa première éducation par une allusion rapide qu’il releva avec une bonne grâce empressée, en nous reprochant un long éloignement, que sa mort imprévue nous laisse le regret de n’avoir pu faire cesser. Il eut pour tuteur un homme d’une aménité de caractère bien attachante aussi, ce parfait galant homme, M. Gabriel Delessert. Dans la société où il fut élevé, il fut rencontré par M. le duc d’Orléans, le prince de la jeunesse de ce temps, qui l’entraîna généreusement dans cet aimable tourbillon qu’on croyait alors conduit par la fortune. La commission des récompenses nationales nommée après la révolution de juillet le désigna pour un brevet d’officier. Après avoir pris part à quelques-unes de ces premières campagnes d’Afrique qui étaient comme une virile école d’élégance, M. de Morny quitta l’armée. À partir de ce moment, M. de Morny mêla la vie de l’industrie et la vie politique à la vie du monde. Ici encore le succès lui sourit vite. Il y eut bientôt montré la facilité d’adapter son esprit aux choses les plus diverses. La versatilité, si l’on prend le mot au sens latin et dans son acception d’origine, était en effet le caractère de l’intelligence de M. de Morny. Cette intelligence n’était ni vaste ni profonde, mais elle était équipée de façon à se porter lestement vers des objets différens et à s’y ouvrir accès. Elle unissait ainsi le jeu des frivolités élégantes au goût des arts et aux préoccupations sérieuses. Elle ne se concentrait pas, elle rayonnait. Voué à la politique, M. de Morny fit voir bientôt qu’il y chercherait la base sérieuse de sa fortune. C’est un des côtés curieux de la fin du règne de Louis-Philippe que le goût que témoigna tout à coup pour la politique une phalange d’hommes jeunes qui ne s’étaient fait connaître jusque-là que comme des hommes de société et de plaisir. L’élite des fondateurs du Jockey-Club fit irruption dans la chambre des députés. Les héros des romans de Balzac donnèrent une escouade inattendue de partisans à la politique de M. Guizot. Nous nous souvenons de ce singulier mouvement qui se passait dans une région trop exclusive pour être aperçu de la foule, mais qui trahissait des symptômes auxquels les hommes d’état de profession eussent bien fait de prendre garde. La prétention de ces survenant était d’apporter dans la politique — de la jeunesse. Ils professaient une déférence sincère ; pour le talent et la gravité de M. Guizot ; mais cela ne les empêchait point de souhaiter à la politique gouvernementale une autre allure et plus d’entrain vers le progrès. Ils n’aimaient pas à voir le gouvernement se paralyser dans la