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d’abord à ceux qui veulent voir clair en toutes choses et qui s’arrêtent dans leurs affirmations là où commence l’obscurité, ce sont les esprits cartésiens, — en second lieu aux esprits défians qui ont un vif sentiment du réel, un grand mépris des choses chimériques, et qui surtout ne veulent pas être dupes : ce sont les esprits voltairiens. Enfin il est une dernière classe d’esprits, la plus rare de toutes : ce sont ceux chez lesquels une volonté fortement trempée est capable de se déterminer par les seuls conseils de la raison, ce sont les esprits socratiques ou stoïciens. « Pourquoi la philosophie, dit M. Saisset, ne suffirait-elle pas à de telles âmes ? La philosophie leur donne une religion, puisqu’elle leur donne la foi en Dieu ; elle leur donne une morale, puisqu’elle leur enseigne le devoir. Elle leur donne même une certaine piété, puisqu’elle leur inspire la foi en la Providence, par suite la résignation, non pas une résignation passive et forcée, mais une résignation volontaire et douce, celle qui dit dans la douleur même : Fiat voluntas tua. Enfin elle leur donne l’espérance. Socrate n’est pas sûr de l’autre vie ; mais il ne regrette pas d’avoir agi comme s’il y en avait une, et il l’espère de la bonté des dieux. Ainsi le philosophe ne manque ni de religion ni de piété. Il croit en Dieu. Il l’adore et le contemple avec ravissement dans la beauté de ses œuvres. Il prie, il espère. »

Cette leçon hardie, où M, Émile Saisset divisait d’une main si ferme l’humanité en deux choses, les âmes religieuses et les âmes philosophiques, dut soulever de vives objections, non malveillantes, mais inquiètes, mais émues, et qui amenèrent notre ami à s’expliquer encore avec plus de fermeté et de précision. On lui reprocha d’avoir fait de la philosophie un privilège aristocratique, d’avoir parlé comme ceux qui disent qu’il faut une religion au peuple. M. Saisset répondit avec énergie à ces pressantes instances. Il blâmait ceux qui disent que la religion n’est nécessaire qu’au peuple. Il y a des âmes très éminentes, très cultivées, qui ont besoin d’une religion positive. « J’ai cité Pascal et saint Augustin, disait-il : est-ce là le peuple ? La religion est bonne pour ceux qui ont le besoin et le pouvoir d’y croire. » On insiste et on dit : « Vous admettez donc que certaines âmes n’ont ni le besoin ni le pouvoir de croire au surnaturel et peuvent s’en passer ? — Oui, Socrate, Platon, Caton, Marc-Aurèle, Épictète, ont vécu heureux et honnêtes sans avoir de religion positive. Il est des sages modernes qui, sans avoir le prestige qui couronne ces grands noms, témoignent que la droiture, la vertu et même la piété n’ont pas besoin de religion positive. » Un autre adversaire, serrant la question de plus près, voulut attirer M. Saisset sur le terrain brûlant du surnaturel et des. miracles. Celui-ci ne recula pas devant cet appel, et il répondit :