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gracieuse, accommodante, ne reconnaît-on pas l’habile et insinuante compagnie de Jésus ? On me dira : Huet n’était pas jésuite ; c’est vrai, mais il logeait chez eux ; il était leur ami, leur hôte. Il passa chez les jésuites de la rue Saint-Antoine les vingt dernières années de sa vie et leur légua sa bibliothèque. Il avait pris l’air de la maison. »

Tel n’était pas l’ardent et mélancolique auteur des Pensées, de cet adversaire implacable de la molle casuistique de son temps, de celui qui dans les derniers jours de sa vie, bien loin de se repentir des Provinciales, disait encore : « Si j’avais à les refaire, je les referais plus fortes. » Pascal n’a jamais reculé devant aucune conclusion. Il est même plus enclin à exagérer sa pensée qu’à la voiler. Son scepticisme sera donc aussi hardi dans la forme que dans le fond. Cependant ce scepticisme a donné lieu à des interprétations différentes. Lorsque M. Cousin, en 1844, souleva cette question, deux opinions se produisirent. Selon les uns, Pascal avait seulement voulu montrer l’insuffisance de la philosophie et de la raison, sans cependant condamner l’une et l’autre en termes absolus. Suivant les autres, ce n’est pas seulement l’insuffisance, c’est l’impuissance radicale de la raison et de la philosophie, c’est le scepticisme sans mesure et sans frein que nous trouvons dans les Pensées de Pascal. M. Saisset pense que les deux opinions sont également vraies, tantôt Pascal fait la part à la raison, tout en la déclarant insuffisante ; tantôt il lui refuse tout, et se range parmi les pyrrhoniens absolus.

Lorsque Pascal nous dit en effet : « Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, se soumettre où il faut, » lorsqu’il dit : « Il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison, ensuite qu’elle est vénérable, en donner le respect, la rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fut vraie, enfin montrer qu’elle est vraie, » n’est-ce pas là la méthode d’un sage apologiste qui veut fonder la religion sur une solide philosophie, et non l’établir sur les ruines de la philosophie même ? « La foi, ajoute-t-il encore, dit bien ce que les sens ne disent pas, mais non pas le contraire de ce qu’ils voient. — Elle est au-dessus et non pas contre. » Ainsi il ne condamne pas absolument la nature et la raison. Ce qu’il affirme, c’est que la philosophie est insuffisante à satisfaire, à consoler, à fortifier l’âme de l’homme. La science ne suffit pas ; il faut l’amour, il faut la grâce, il faut la foi. « Qu’il y a loin, dit-il, de la connaissance de Dieu à l’aimer ! » Bossuet avait exprimé aussi la même pensée en ces termes éloquens : « Malheureuse la connaissance qui ne se tourne pas à aimer ! » Pascal dit encore : « Le cœur a ses raisons, que la raison ne connaît point. » Ce n’est donc pas précisément la raison en elle-même que Pascal