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grands maîtres avaient touché à cet inépuisable sujet, quel honneur pour M. Havet d’avoir su encore trouver de quoi nous intéresser et nous émouvoir ! Cette plume si fine et si rare, qui s’est trop économisée, nous donnait en tête d’une édition fidèle des Pensées de Pascal une introduction lumineuse et animée, qui mettait en relief quelques-uns des traits éminens du grand maître, oubliés par d’illustres prédécesseurs.

Parmi les écrivains qui auront parlé de Pascal, de son scepticisme et de sa foi avec le plus de force et d’émotion, il faudra maintenant compter M. Emile Saisset, qui a laissé sur ce sujet, avons-nous dit, un certain nombre de leçons à peine rédigées, mais pleines de souffle, et qui seront lues encore après ce que M. Cousin a écrit. Peut-être est-ce dans ces leçons que M. Saisset s’est le plus livré lui-même. Esprit circonspect et réservé la plume à la main, il s’abandonnait beaucoup plus devant ses auditeurs : sans être entraîné par sa parole, ou plutôt précisément parce qu’il s’en sentait maître, il ne craignait pas certaines expansions ; il semblait que la présence même du public vivant lui inspirât plus de confiance que ce public abstrait et invisible auquel on parle en écrivant. De là une liberté pleine de mouvement, qui compense dans ces leçons ce qui peut leur manquer pour la perfection du style et le développement de la pensée. Du reste, les Pensées de Pascal, ces débris sublimes d’un monument interrompu, pourraient-elles avoir un plus sincère, un plus touchant écho que ces leçons mutilées, fragmens aussi d’un monument philosophique dont une même jalousie du destin n’a pas permis l’achèvement ?

M. Emile Saisset distingue au XVIIe siècle trois sortes de scepticisme : le scepticisme janséniste, le scepticisme jésuitique, le scepticisme érudit ; le premier représenté par Pascal, le second par Huet, le troisième par Bayle. Celui-ci, selon les mots de Voltaire, est « l’avocat-général du scepticisme ; mais il ne donne pas ses conclusions. » Quant à Huet, M. Saisset a laissé de lui un portrait charmant. « Huet, dit-il, est un homme du monde ; ce n’est pas l’Alceste, c’est le Philinte du scepticisme théologique. Il insinue le scepticisme plutôt qu’il ne le professe. Il le verse à petites doses, d’abord dans la Démonstration évangélique, puis dans les Questions d’Aulnay sur l’accord de la foi et de la raison. Il ne se montre à visage découvert que dans son Traité de la faiblesse de l’esprit humain. Je dis à visage découvert, et j’ai tort : ce genre d’esprit a toujours un masque. Huet admet qu’il y a des vraisemblances à défaut de vérités. Il admet même des clartés et des certitudes, mais des clartés qui ne sont pas tout à fait claires et des certitudes qui ne sont pas tout à fait certaines, un peu à la manière de ces grâces suffisantes qui ne suffisent pas. À cette marche oblique, doucereuse,