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quels termes il décrivait, dans ce discours, le scepticisme théologique : « Les théologiens, disait-il, quoique adversaires déclarés du matérialisme, s’accordent avec lui pour nier ou tenir à l’écart la philosophie. Il y a les violens qui disent : La philosophie est une chimère, la philosophie est un bavardage. Il y a les doux, les mielleux, les moelleux qui disent : La philosophie n’est pas impuissante ; mais qu’elle est insuffisante ! qu’elle est stérile ! qu’elle est faible ! Combien sa place est petite ! Il appartient à la théologie d’habiter et de remplir le temple de la vérité. Quant à la philosophie, on ne la chasse pas, mais on la conduit tout doucement dans le vestibule ; on la charge d’ouvrir la porte et de chasser les gens sans aveu qui rôdent autour. » Il caractérisait en même temps le scepticisme scientifique en termes non moins vifs et non moins vrais. « Je sais qu’il y a des faits sensibles, je sais que ces faits ont des rapports de concomitance qu’on appelle des lois ; je ne sais rien de plus. Y a-t-il des forces ? y a-t-il des fins ? Je l’ignore. L’homme est-il esprit ou matière ? Je n’en sais rien. Existe-t-il un principe vital, une âme ? Je l’ignore. Enfin y a-t-il un Dieu ? C’est ce que j’ignore le plus. Je ne suis pas athée. L’athéisme s’oppose au théisme, et je ne suis ni pour ni contre Dieu. Je ne m’en occupe pas. »

À ces deux classes d’adversaires, M. Emile Saisset répondait « que si un peu de philosophie mène au scepticisme, beaucoup de philosophie en éloigne, et assoit l’esprit dans un dogmatisme limité, mais inébranlable. » Telle est pour nous aussi la vérité. Un dogmatisme absolu tombe dans la chimère ; un scepticisme absolu se dévore lui-même et se condamne au silence. Il faut un dogmatisme, mais un dogmatisme limité. L’exemple des excès où sont tombés de part et d’autre, dans un sens opposé, Pascal et Kant attestera la solidité de cette conclusion.


I

Un fait bien remarquable, c’est la prédilection particulière de notre siècle pour Pascal, et surtout pour le livre des Pensées. Ce n’est pas sans doute que les Provinciales nous laissent indifférens ; c’est un beau, un charmant livre, mais qui ne passionne plus, tant il a eu raison ; tout au plus, quand recommencent quelques-unes de ces émeutes périodiques de l’opinion dont les jésuites sont de temps en temps l’objet et dont ils ont aujourd’hui l’habitude, tout au plus alors s’échauffe-t-on encore un peu pour ou contre les Provinciales ; mais ce n’est que la surface de notre esprit qui est agitée. Les Pensées au contraire remuent le cœur, et le plus profond