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qui soufflent des deux golfes de Messénie et de Laconie, préservé des brusques variations de la température par le voisinage du Taygète, qui accumule et retient les orages sur ses hauts sommets, le climat y est éminemment propice à l’éducation des vers à soie, pratiquée d’ailleurs à toutes les époques dans le pays, mais avec des moyens grossiers et primitifs, et par la seule main des femmes. Cette source de richesse, d’autant plus certaine et précieuse que la consommation de la soie augmente chaque jour davantage sur tous les marchés de l’Europe, se développerait vite dans le Magne, si le gouvernement grec y introduisait les procédés et les instrumens perfectionnés de l’industrie moderne. Enfin le Kakovouni, rebelle à toute espèce de culture, forme à lui seul une immense carrière de marbres divers, et principalement de porphyre. L’exploitation de ces carrières conviendrait plus particulièrement au génie farouche des habitans de ce district, qui, tout déshérité qu’il est de la nature, apporterait ainsi lui-même son contingent à la richesse nationale.

On voit, par l’exemple du Magne, quel est le caractère des transformations intérieures auxquelles la Grèce doit consacrer jusqu’à nouvel ordre son activité. Outre ce pays trop négligé, d’autres provinces encore réclament la prompte intervention d’une sollicitude administrative éclairée. Au-delà du golfe de Lépante, dans l’Étolie et l’Acarnanie, des populations entières sont encore à l’état demi-barbare où les a laissées la domination musulmane. Il y a là aussi toute une métamorphose à opérer, toute une conquête matérielle et morale à poursuivre. Une pareille œuvre n’est certes pas de celles qui s’accomplissent en un jour, entre deux révolutions, par un subit accès de passagère sagesse ; la Grèce a besoin de s’armer de patience, de s’imposer la ténacité, de s’arracher au charme décevant et aventureux de la grande idée, pour embrasser le système plus pratique des améliorations et des travaux de l’ordre social et pacifique. C’est à ce prix seulement qu’elle obtiendra les sympathies et le secours de l’Europe, qui n’aurait nul intérêt à seconder le triomphe définitif de la nationalité grecque en Orient, si ce triomphe ne devait aboutir qu’à remplacer la barbarie des Turcs par celle des klephtes. Que la Grèce se hâte donc d’effacer les derniers vestiges de cette barbarie ; elle n’a pas de meilleur usage à faire de son indépendance et de sa nouvelle constitution, elle n’a pas de plus sûre garantie de force à donner à l’Occident.


E. YEMENIZ.