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Qui sait quelles pensées discrètes et silencieuses mûrissent autour du saint-siège, prêtes à paraître quand les circonstances les appelleront ? Car à Rome aussi les circonstances, quand elles sortent de causes permanentes et portent un caractère définitif, ont voix prépondérante dans les conseils des hommes ; il y a toujours des esprits prêts à les écouter, et la force des choses, une fois bien comprise, n’y connut jamais de rebelles.


I

Les trois légations, cédées par le pape à la France en vertu du traité de Tolentino, avaient été réunies à la république cisalpine. Les principales réformes françaises y avaient été, comme partout où pénétraient nos armées, promptement ébauchées, et les principes en étaient bien compris. Alors parut, dans l’un des diocèses de ces provinces, à l’occasion des fêtes de Noël (1797), un écrit épiscopal fort imprévu intitulé : Homélie du citoyen cardinal Chiaramonti, évêque d’Imola, — an VI de la liberté. C’était un acte d’entière adhésion au principe de la démocratie moderne sous la forme républicaine qu’elle portait alors. Cet évêque d’Imola avait déjà été remarqué l’année précédente par le général Bonaparte. Tandis que tous les autres évêques avaient pris la fuite devant les troupes du directoire qui envahissaient les Romagnes, il était, lui, resté à son poste. C’est là le moment précis où, pour la première fois, ces deux hommes furent en rapport ; encore quelques années, et ils allaient jouer ensemble sur la scène du monde deux grands et terribles rôles, l’un étant devenu l’empereur Napoléon, l’autre le pape Pie VII.

Cette homélie est volontiers passée sous silence par les biographes. Ceux qu’offensait le scandale d’un futur pape adoptant si facilement les principes modernes ont cherché à en étouffer le souvenir, d’autres ont essayé d’en contester la portée ou d’en fausser le sens ; Artaud en change tout simplement la date pour la reporter au temps des troubles qui suivirent la mort de Duphot : il voudrait faire croire qu’elle fut une inspiration de la peur, et suppose hardiment que des mains étrangères l’interpolèrent sous les yeux de l’auteur. Un autre, plus hardi et plus sommaire encore (voyez l’édition de Feller de 1849), lui fait dire exactement le contraire de ce qu’elle dit. « Une pastorale, affirme-t-il, où il rendait douteuse la compatibilité de la religion avec le système républicain, irrita les partisans du nouvel ordre de choses. » La vérité est que, loin de vouloir la rendre douteuse, cette pastorale n’a d’autre but que de l’affirmer et de la faire entrer dans les esprits, comme on verra. Au reste, cet écrit est le seul qui soit sorti de la plume de Chiaramonti,