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les idées libérales ; comprimée, mais en même temps disciplinée par la réaction aveugle des gouvernemens, compromise plutôt que servie par des complots et des affiliations secrètes, elle envahit pourtant peu à peu les intelligences. Les livres, l’agitation des réformes, la contagion des idées qui arrivent de tous les horizons de l’Europe, sont ses auxiliaires. Le fruit de cette longue lutte, c’est que la question, bien et dûment débattue, se précise, qu’on en saisit de plus en plus clairement les élémens essentiels, que le principe de l’ancien régime et le fait de la société moderne se définissent, se comparent, se reconnaissent à fond, et qu’enfin un jour vient où, placés face à face en pleine lumière, ils se déclarent officiellement et réciproquement incompatibles. Telle est la situation du moment où nous sommes, et sans doute aussi la fin de la seconde période.

Il ne sera peut-être pas sans intérêt,,s’il est vrai que nous touchions au terme de cette dernière période, de remonter dans la première, pour comparer les temps et retrouver les impressions que produisirent alors, sur les hommes du plus haut rang et de la plus haute vertu dans l’église, les coups soudains du directoire et de l’empire. Quelle fut leur pensée spontanée et en quelque sorte intuitive sur le pouvoir temporel, quand ils le virent par terre ? Persistèrent-ils à croire, aussi absolument qu’on y croit aujourd’hui, à la nécessité providentielle de ce pouvoir pour l’indépendance de l’église ? Quelles leçons pour le présent, quels pronostics pour l’avenir tirèrent-ils de ces désastres redoublés ? A quelques-unes de ces questions les mémoires récemment publiés du cardinal Consalvi fournissent déjà des réponses assez significatives et des plus authentiques : toutefois ils ne sauraient donner une connaissance suffisante des idées hardies qui jaillirent alors comme le reflet même des événemens. Nous en compléterons l’étude par deux documens peu connus, quoique imprimés depuis longtemps : l’homélie de Chiaramonti (Pie VII), alors évêque d’Imola, sur la démocratie moderne, et un écrit du cardinal Pacca sur les conséquences de l’abolition du pouvoir temporel. De cet examen il résultera que, sur cette grave question, la pensée catholique de ce temps-là différait beaucoup de celle d’aujourd’hui, qu’elle jouissait d’une bien plus grande liberté, qu’elle montrait bien plus de force et de compréhension, et qu’enfin, dans l’esprit de plusieurs de ces hommes éminens, l’élément religieux de la papauté pouvait, non-seulement sans inconvéniens, mais avec de notables avantages, se dégager de la dangereuse solidarité de l’élément politique. Aujourd’hui même, qui peut savoir ce qui, dans cette région élevée de l’église, se médite sous le voile du respect et de la discipline, et attend son moment ?