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infuse dont les tiédeurs vous enivrent ; puis soudain, quand l’oratorio commence, l’émotion de la salle change d’aspect : c’est du recueillement. Vous n’êtes plus au théâtre, mais dans un temple. Les airs de Sarastro, les entrées des génies, les solos d’initiés, les chœurs de prêtres se succèdent sans que l’intérêt fléchisse un seul instant. On admire, on se courbe. Cette calme et sublime harmonie monte et se répand comme un encens au milieu d’un silence de sanctuaire, et personne n’en veut perdre un son. Quel homme de goût assistant, aux Italiens, à une représentation de Don Juan, n’a maugréé à ce bruit de portes qui s’ouvrent et se ferment dès les premières mesures du second finale ? La statue entre, on s’en va : c’est de tradition, et le savoir-vivre veut qu’on laisse se jouer dans le désarroi de la salle qui se vide une scène dont la grandeur tragique n’a point d’égale. Au Théâtre-Lyrique, de tels airs ne seraient point de mise ; la fashion exige ici qu’on se montre attentif. Le croira-t-on ? le second finale, le plus long que Mozart ait écrit, y passe tout entier avec ses développemens extraordinaires, ses motifs fugues, et ce public non-seulement ne sourcille point, ne boude point ; mais on voit à son attitude qu’il comprend, et si bien que vers la fin la pièce elle-même, par la musique, l’intéresse. Le vieux prince Metternich disait : « Il en est d’une constitution politique, comme d’une constitution physique ; l’une et l’autre valent par leur durée. Quand un homme a vécu quatre-vingt-dix ans, je ne m’informe pas s’il avait une bonne constitution. » M’est avis qu’appliqué à l’estimation d’un libretto d’opéra, ce raisonnement ne perdrait rien de sa justesse. Qu’on bafoue et vilipende tant qu’on voudra l’élucubration du poète Schikaneder, je prétends, moi, ne la juger que par ce qu’elle a produit, et je me demande si un Scribe, dans toute l’ingéniosité de son talent adroit, malin, futé, dans toute la plénitude de ses ressources expérimentales, serait jamais parvenu à fabriquer pour le génie d’un Mozart une pièce qui valût ce programme naïf, grotesque, impossible au point de vue théâtral, mais prêtant à l’interprétation philosophique, au mysticisme, à la poésie, ouvrant ses fenêtres sur l’idéal, et d’où finalement la musique aura tiré son plus grand chef-d’œuvre. J’ai dit le mot, et je le maintiens.

Beethoven, je le sais, n’est pas un juge toujours sûr. Il a ses quintes, ses bourrasques, ramène à l’œuvre les sympathies et les rancunes que l’auteur lui inspiré, fait tête ou se rembûche, et, selon la lune, honnit ou acclame. Toutefois son opinion, lorsqu’il se donne la peine de la motiver, mérite qu’on s’y arrête, et bien qu’il affecte de tenir surtout compte à Mozart de s’être montré dans la Flûte enchantée pour la première fois un véritable maître allemand,