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ce prêtre de cet air, émanation d’une âme froissée jadis, et qui, désormais réconciliée avec les lois suprêmes, pénétrée du sentiment de l’harmonie éternelle, s’est réfugiée au sein de l’Être, et de là contemple la créature d’un œil d’amour et de compassion, aidant et conseillant ceux qui souffrent, qui cherchent ?

La portée de ce morceau touche à des profondeurs inusitées, descend au contre-fa. On a raconté que Mozart avait eu ainsi pour objet d’utiliser les notes graves d’une voix de basse exceptionnelle. C’était se méprendre. L’effet ici n’a rien d’occasionnel ; il est calculé, médité, voulu, et c’est dans le sens moral, profond du rôle, et non dans le hasard d’une rencontre, qu’il en faut chercher la raison. Il est vrai que ces petits détails prêtent à l’anecdote ; un Stendhal, sans trop y croire, les exploite, et les moutons de Panurge de sauter. La même erreur devait se produire au sujet des deux airs de la reine de la Nuit. Évidemment jamais Mozart ne se fut avisé de lancer ainsi sa musique à travers les étoiles, s’il n’avait eu sous la main, pour l’y porter, la fulgurante voix de sa belle-sœur, Mme Hofer. On oublie donc qu’ici tout est symbolisme, et que ces sons étranges, merveilleux, dont la perception éblouit notre oreille, en même temps qu’un effet musical, sont une idée. Mozart, quoi qu’il fasse, est toujours musicien. Jamais vous ne surprenez chez lui le philosophe, le prophète. Il rêve, sent, compose en musicien : le beau qu’il cherche, c’est le beau musical dans sa grandeur la plus régulière, sa perfection la plus harmonique ; mais, comme chez lui le musicien et l’homme ne font qu’un, comme cette harmonie du beau n’est que la conséquence de la parfaite harmonie de son être, il en résulte que sa musique traduit son âme, et nous livre, sans que lui-même en ait conscience, tous les trésors d’observation philosophique, d’humaine tendresse et de religion que cette âme sublime contient. « Le sentiment est tout, le nom n’est que bruit et fumée enveloppant la céleste lueur ! » ces paroles de Faust à Marguerite peuvent s’adresser à Mozart. À lui aussi, le divin s’est révélé dans sa grandeur, sa mansuétude infinie ; lui aussi a ressenti au plus profond de l’être le contre-coup des misères de la vie, d’impuissance de l’homme en lutte avec les lois suprêmes du grand tout. Déchu mainte fois, tombé en proie à ses passions, à ses faiblesses, il a su se relever par la grâce et trouver l’apaisement final.

Là est la vraie explication de ce mystère qu’on appelle la Flûte enchantée, le fil conducteur dans ce labyrinthe. Le calme y succède au calme, le motif, au lieu d’y chercher le contraste, semble l’éviter, le doux s’y mêle au plaisant, le tendre au solennel, et tout cela se suit, se développe sans que vous éprouviez autre chose qu’un