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donnait-on le temps de s’essuyer la bouche. — A vos pupitres, messieurs de l’orchestre ! au théâtre, mesdames et messieurs du chant ! Et la représentation itérativement d’aller son train ! l’ouverture d’abord, puis le duo d’introduction, puis le quintette, le finale, le duo bouffe des deux basses, et ainsi de suite jusqu’à l’air : Pria che spunti. Morceau par morceau, c’était comme les jambons du souper, tout y passait. Et quels applaudissement, quelle frénésie ! Quand le dernier archet avait fini de racler sa dernière note, l’étoile du matin se levait. On était venu à l’heure du rossignol, on s’en allait au point du jour, à l’heure de l’alouette. Je me figure un de ces dilettanti attardé, rentrant chez lui à pied, la tête pleine de cette double ivresse du vin de Champagne et de la mélodie italienne. Il enfile une rue étroite, passe devant une maison connue, voit de la lumière filtrer à travers de maigres rideaux d’un vert jauni. — Tiens, se dit-il, ce pauvre Mozart ! si je demandais en passant de ses nouvelles ! — Il frappe. Constance, tout en larmes, vient ouvrir : Mozart est mort ! La farce est jouée : disons la farce italienne jouée devant l’empereur, devant la cour par deux fois, tandis que la Flûte enchantée, honneur et gloire du génie humain, a pour temple une bicoque et pour auditoire la populace des faubourgs.

Dix ans plus tard seulement (le 24 février 1801), le chef-d’œuvre fit son apparition sur une scène impériale, sans quitter absolument ses premiers lares. Schikaneder, qui d’ailleurs ne parlait de Mozart qu’avec l’émotion de la reconnaissance, regardait cet ouvrage comme la pierre fondamentale de son théâtre, et quand il lui arriva de s’installer dans sa nouvelle salle, an der Wien, il fit, en souvenir d’une période illustre, placer au-dessus de l’entrée un superbe Papageno, ayant en main sa flûte à piper les oiseaux et le public. Toutefois l’avènement du chef-d’œuvre à Kärtner-Thor valut à notre homme bien des amertumes. Son poème, auquel il tenait, comme tous les chats-huans tiennent à leurs petits, reçut là sa première atteinte. On coupa, rogna, défit et refit le dialogue, sans prendre garde aux réclamations du pauvre diable, qui, furieux de voir qu’on lui refusait même d’imprimer son nom sur l’affiche, se mit à bafouer à son tour, dans une parodie de son théâtre, ceux qui le bafouaient si cruellement.

Cette fois l’insulte au moins ne s’adressait qu’au librettiste. Plût à Dieu que la Flûte enchantée n’eût jamais connu que cette profanation ! Malheureusement bien d’autres outrages l’attendaient chez nous. Je veux parler de ce qui se passa en 1806 à propos d’une abominable compilation représentée à l’Opéra sous le nom des Mystères d’Isis. Une nation, à coup sûr, ne saurait être responsable des sottises d’un particulier ; mais lorsque cette nation, au lieu de