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à sa place, n’eussent peut-être pas résisté à cette tentation d’agir sur les sens de leur public, de l’entraîner aux régions de Callot et d’Hoffmann, d’écrire, au lieu d’une musique purement psychologique, une musique fantastique et machinée ; mais l’idéaliste Mozart conserve jusque dans le merveilleux ses relations avec la vie réelle. D’ailleurs, lorsque son propre tempérament ne l’en eût pas tenu éloigné, le monde des esprits, avec ses terreurs, ses angoisses, n’était point ce qu’il fallait au public de cette époque. Superstitieux et sensuel, n’aimant point à retrouver au théâtre les épouvantes du confessionnal, et voulant au contraire s’y réjouir gaîment de la comédie de l’existence, le bon Viennois s’arrangeait bien mieux du spectacle de quelque conte oriental accommodé à sa guise, au gros poivre et aux confitures, et qui lui représentait, sous des couleurs grotesques, drolatiques, la vivante ironie des mœurs locales. Qu’importent à Mozart les invraisemblances, pourvu que ses personnages vivent, pourvu qu’ils aient une âme humaine en rapport avec la condition élevée ou infime qu’il leur attribue ? Tamino est un jeune seigneur ému de toutes les aspirations du XVIIIe siècle, un cœur sensible et vertueux brûlant des plus nobles flammes pour la vérité, — de plus tendrement épris de la belle Pamina, une princesse de Racine égarée dans un conte de fées ! Quant à ce fripon de Papageno, ne vous fiez pas à l’apparence, et ne voyez en lui, malgré ses plumes d’oiseau, qu’un franc Viennois jovial et bavard, ne demandant qu’à trouver le vin bon, les femmes jolies, et pourvu d’une ample dose de cette sentimentalité qui, de bas en haut, caractérise le vrai fils de la patrie allemande.

J’arrive à Sarastro, l’apôtre de sagesse, de clémence, ne rêvant, ne cherchant que le bien universel. Cette figure solennellement imposante, quoique cependant tout humaine, est encore relevée par des fonctions sacerdotales qui, bien qu’indéfinies, nous le montrent par momens sous un aspect presque divin. Il faut entendre la musique de Mozart évoquer autour de ce vieillard auguste la sérénité morne des sanctuaires, l’investir d’un idéal de majesté, comme elle a su investir les trois génies du nimbe séraphique. Tout ce que l’esprit des siècles est parvenu à connaître de la science divine et humaine, la grande âme de Sarastro se l’est approprié. Ces trésors amassés pour l’enseignement moral de ses semblables, il les fait servir sans relâche à rapprocher l’homme du Très-Haut, et comme, ni sur ses intentions, ni sur ses moindres actes, l’égoïsme n’eut jamais de prise, comme rien n’émane de lui qui ne vienne de la source pure de vérité, sa figure a revêtu avec le temps quelque chose de l’éternel et du divin, le divin n’étant en dernier terme que l’humain dans sa beauté, son harmonie originelles. Mozart,