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frères du sien par la moralité, la grandeur des vues, sinon par l’illuminisme créateur. On remarquera en passant une lettre à la date de 1787 qu’il écrivait à son père, déjà souffrant et déclinant : « Je n’ai pas besoin de vous dire quel vif désir j’ai de recevoir de vos nouvelles, et combien j’espère qu’elles seront bonnes, quoique je me sois fait l’habitude de ne spéculer que sur le pire en toute chose. La mort n’étant, à bien prendre, que le terme de notre existence, je me suis, depuis quelques années, tellement familiarisé avec cette véritable amie des hommes, que son image, loin de m’épouvanter, me console et me rassérène, et je ne saurais assez remercier Dieu de m’avoir mis à même (vous me comprenez, n’est-ce pas ?) de la considérer comme la clé de notre véritable félicité. Jamais je ne me couche sans songer que peut-être, — si jeune que je sois, — il ne me sera pas donné de voir se lever le jour du lendemain, et cependant je ne suppose point que personne de ceux qui me fréquentent m’en trouve plus soucieux ni plus mélancolique. C’est au contraire pour moi une félicité dont je bénis incessamment mon créateur, et que je souhaite du fond de l’âme à tous mes frères. » Quelque idée qu’on puisse avoir de l’influence qu’exerça sur Mozart cette initiation aux mystères alors très significatifs de la franc-maçonnerie, qu’il crût voir dans ces dogmes nouveaux des vérités plus hautes et plus pures, ou qu’il ne s’agît à ses yeux que d’un simple enseignement moral, il n’en est pas moins vrai que son âme y trouva le calme, la quiétude, « cette paix de Dieu, plus haute que tout l’entendement des hommes ! » Et c’est là en somme le point important pour nous qui n’avons à juger de ce qu’il ressentit que par ce qu’il en a exprimé dans ces pages immortelles. Religieuse en son essence est en effet cette musique de la Flûte enchantée. Elle a la foi, l’amour, et respire, de sa première note à la dernière, je ne sais quel sentiment de mansuétude infinie, de céleste apaisement.

J’ai donné acte à Schikaneder du mérite de l’invention ; peut-être me suis-je trop hâté, peut-être l’introduction de ce principe métaphysique si merveilleusement développé par Mozart fut-elle due non à l’initiative géniale de l’imprésario-rimailleur, mais à une prescription de la loge transmise par un choriste affilié, Robert Giseck. Ce qu’il y a de certain, c’est que, par son à-propos, la chose devait réussir, même alors qu’elle n’eût pas inspiré à Mozart ce chef-d’œuvre, et rien ne me prouve que ce ne soit pas le sens caché sous les paroles bien plutôt que la beauté de la musique qui ait tout d’abord entraîné le succès. Le nouvel empereur Léopold venait de proscrire les francs-maçons. À ce successeur réactionnaire du trop libéral Joseph II, toutes ces théories modernes déplaisaient