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ligne. Aussi, comme il travaillait cet inventeur, comme il se creusait la cervelle à chercher l’idée attractive, argenteuse ! Tant d’efforts eurent leur récompense, et comme ces adeptes qui, cherchant la pierre philosophale, préparèrent la chimie moderne, cet entrepreneur aux abois, qui ne pensait qu’au moyen de gagner des écus, mit la main sur une idée que la musique allait élever au rang des chefs-d’œuvre. Je veux parler de cette introduction de l’élément maçonnique à laquelle Schikaneder, croyant répondre à certaines préoccupations sociales et politiques du moment, eut recours en désespoir de cause.

L’époque était à la philanthropie ; les idées d’avenir, de réforme, d’amour de l’humanité, empruntaient au passé certaines pratiques mystérieuses faites pour amuser, pour endormir cette société frivole qui, à ses bals de cour, à ses chasses, à ses concerts de castrats, trouvait plaisant d’entremêler le surnaturel, ne se doutant pas du sens fatal caché sous cet appareil de mesmérisme et de sorcellerie, ni des formules, des signes cabalistiques mis en œuvre pour rallier entre eux dans une révolutionnaire connivence tous ces diseurs de bonne aventure, apôtres et tireurs de cartes. La figure de Cagliostro restera comme celle d’un représentant très curieux de ce mysticisme relevé d’ironie où tous les esprits du siècle se laissèrent prendre. Schikaneder ravaudant le tissu grotesque de sa pièce, remaniant ses personnages l’un après l’autre, se retrouvait en présence de Sarastro, le tyran de son mélodrame, lorsque tout à coup l’idée lui vint de faire de ce tyran, de ce monstre, un grand prêtre de la sagesse, un ami de l’humanité, idée merveilleuse à laquelle l’antique Égypte allait incontinent prêter ses temples, le culte d’Isis ses collèges de prêtres, de sorte que, sans mettre l’ordre maçonnique en collision avec les pouvoirs politiques, sans risque d’encourir les censures et les interdits des partis réactionnaires, on aurait pour soi l’immense attraction de l’idée partout dominante. « Bientôt la sombre erreur sera dissipée, bientôt l’esprit de sagesse triomphera ! » ainsi du commencement à la fin s’exprime par la bouche de ses initiés, de ses génies, de ses demi-dieux, cet ouvrage étrange, singulier, qui, d’abord conçu dans les proportions d’une féerie de tréteaux, devait, grâce à l’un de ces hasards qui président aux grandes créations, devenir le chef-d’œuvre le plus idéal, le plus pur de Mozart. Qu’on ose en ce cas médire des petites causes ! L’homme qui suscite une partition telle que la Flûte enchantée rend un service impérissable à l’humanité, et mérite que tous ceux que l’art passionne et moralise bénissent son nom à traversées siècles. Goethe, qui s’y connaissait quelque peu, a écrit : « Il faut, pour