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à la main, dans cette attitude tragique qui fut de tout temps particulière aux héros grecs. Il est à remarquer en effet que, depuis Marathon et les Thermopyles, tout Grec, capitaine, archonte ou simple klephte, qu’une halle vient frapper derrière quelque rocher, meurt d’une façon fière et superbe, avec un mot à l’adresse de la postérité, et convaincu que le monde a les yeux sur lui et va retentir du bruit de son trépas. Le beyzadé, par exemple, le plus beau des Grecs au dire de tous ceux qui l’ont connu, ayant été surpris dans un moulin à vent à Karystos en Eubée, et restant seul survivant de sa troupe après une magnifique défense, monte sur le toit de cette masure, fait signe aux assaillans de cesser le feu, et se passe son sabre au travers du corps en s’écriant : « Chiens de Turcs, vous n’aurez pas en vie le fils de Pétro-Bey ! » Un autre fils du bey, Kyriakoulis, que les conteurs populaires ne nomment jamais sans rappeler ses étonnantes moustaches, qu’il se nouait derrière la tête, Kyriakoulis fréta un navire et conduisit plusieurs centaines de Maïnotes au secours de Souli. Après la fatale bataille de Péta, il fut refoulé jusque sur les bords du golfe d’Ambracie à Phanari, près de Parga. Il se défendit plusieurs jours, retranché dans les maisons du village. À la fin, criblé de blessures et se sentant mourir, il distribua ses armes à ses compagnons, et confia sa ceinture à son protopallikare ou écuyer, en lui recommandant de la rapporter dans le Magne pour la suspendre dans la demeure de ses pères. Avant de rendre le dernier soupir, il donna l’ordre à ses soldats de lui trancher la tête pour ne pas la laisser tomber entre les mains des Turcs ; mais on n’eut pas à exaucer ce vœu, digne d’un Spartiate : les Turcs furent détournés de Phanari par l’approche de Marc Botzaris ; trente Maïnotes, derniers débris de cette valeureuse troupe, rapportèrent à Vitulo la dépouille mortelle de leur chef. À la suite de cent autres traits de ce genre, les Mavromichalis acquirent, pendant les guerres de l’indépendance, une célébrité que ne leur aurait sans doute pas value l’exercice du pouvoir dans leur obscure et sauvage principauté du Magne. Pétro-Bey fut tour à tour généralissime, président du congrès d’Astros, chef du pouvoir exécutif. Son nom apparaît au premier rang sur tous les champs de bataille et dans toutes les assemblées ; mais, une fois la Grèce pacifiée, les rêves ambitieux que les Mavromichalis avaient caressés dans l’ombre pendant deux siècles, et qu’ils avaient enfin réalisés après tant d’années de patience et d’efforts, furent détruits par l’émancipation même de la patrie. Le Magne devenait une simple province du nouvel état, et Pétro-Bey n’était plus le roi du Magne que dans les récits héroïques et les chants populaires. On sait quel rôle jouèrent les Mavromichalis sous la présidence du comte Capodistrias,