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— Qu’on sache seulement que tu travailles pour moi, et les ressources m’arriveront.

— Mais le poème ?

— Je m’en charge ; voici d’abord le plan et les principaux morceaux du premier acte. Tu peux dès à présent te mettre à l’œuvre. Pendant ce temps, moi, j’achèverai le reste. Voyons : ta main, cher Mozart, ne me laisse pas davantage dans la peine.

— S’il en est ainsi, je consens ; mais gare au fiasco, car je n’ai jamais composé de féerie, et du diable si je sais ce que je vais faire !

Schikaneder, lui, connaissait le genre et ne s’y trompait pas ! Sa longue pratique du théâtre lui montrait comment on devait s’y prendre pour attirer la foule. Il savait, en directeur intelligent, Qu’avec les goûts, les engouemens du public on ne discute pas, et se sentait pourvu d’une bonne pièce de la marchandise à la mode qu’il était allé chercher dans le répertoire littéraire de Wieland, ce grand magasin de féeries.

Le charmant prince Loulou, un jour qu’il s’est égaré à la chasse au tigre, arrive au pied d’un vieux château, résidence de la bonne fée Périfirime. Il entre, et soudain, au milieu de jardins enchantés, se montre à lui la maîtresse du logis, qui lui raconte comme quoi l’affreux magicien Dilsenghuin lui a dérobé son talisman, une baguette de feu à laquelle obéissent les esprits élémentaires, et dont une simple étincelle suffit pour évoquer à l’instant mille diablotins familiers prompts à vous servir. La grande affaire pour la dame serait donc de rattraper son talisman perdu, lequel ne saurait être reconquis que par la main d’un jeune homme n’ayant point encore ressenti les troubles de l’amour. Il va sans dire que dans le charmant prince Loulou Périfirime tout de suite avise un libérateur, qu’elle se promet bien in petto de récompenser plus tard en lui accordant sa fille en mariage ; mais, hélas ! cette aimable fille elle-même n’est plus au pouvoir de la bonne fée : l’horrible magicien la lui a prise avec son talisman, et l’infortunée Sidi, en butte aux obsessions du monstre, ne parvient à se conserver pure que grâce à certains privilèges particuliers aux êtres surnaturels, et qui perdraient leur action aussitôt que son cœur de jeune fille parlerait. Périfirime donne à son chevalier deux talismans en prévision des dangers qui vont l’assaillir dans l’entreprise où il s’engage : une flûte dont les sons magiques éveillent à l’instant l’amour, et une bague en diamant qui, pareille au fameux anneau de Gygès, fait qu’on peut, en la retournant de telle ou telle façon, se transformer ou se rendre invisible à volonté. Le prince Loulou entre en campagne, et, dès qu’il arrive en vue du donjon du nécromancien, se met à souffler dans l’embouchure de sa flûte. Le concerto