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au-dessus de la mer. Au Grand-Plateau, nous étions à 530 mètres plus haut, mais des circonstances indépendantes de notre volonté nous empêchèrent d’y rester aussi longtemps.

Pendant notre séjour, le tonnerre des avalanches troublait seul le silence imposant de ces hautes régions. Nous ne vîmes point d’êtres animés, sauf des abeilles et des papillons, qui, entraînés par les courans ascendans, ne tardaient pas à expirer sur la neige. La veille de notre départ, des choquards ou corneilles à bec jaune (corvus pyrrhocorax) vinrent voler autour de nous, attirés sans doute par quelques débris de pain gelé et des os de mouton et de poulet gisant aux environs de notre tente. Nos trois jours furent bien employés, et peut-être essaierai-je plus tard d’exposer dans la Revue les principaux, résultats obtenus dans les Alpes pendant le séjour à des hauteurs supérieures à 2,000 mètres, par de Saussure, Agassiz et Desor, Bravais et moi-même, les frères Schlagintweit et Dollfus-Ausset ; c’est une longue histoire qui ne saurait former un simple appendice au récit de deux ascensions scientifiques. Les oscillations du baromètre et du thermomètre, l’humidité relative de l’air aux différentes heures de la journée, les températures du sol à diverses profondeurs, le rayonnement nocturne de la surface de la neige, des plantes, et de divers corps de la nature, la mesure de la chaleur propre des rayons solaires, qui traversent une moindre épaisseur d’atmosphère que lorsqu’ils plongent jusqu’au niveau de la plaine, l’intensité relative de la vitesse du son ascendant et descendant, les phénomènes si compliqués et si intéressans des glaciers, la végétation et la vie animale dans ces hautes régions, enfin les phénomènes physiologiques qui se manifestent chez l’homme, tels sont les principaux sujets de recherches qui ont occupé ces observateurs : elles complètent celles qui avaient été faites avant eux pendant les ascensions sur les hautes cimes. Les résultats définitifs de ces expériences et de ces observations forment autant de chapitres intéressans qui viennent prendre leur place dans les traités de physique, de météorologie, de physique du globe, de géologie, de géographie botanique et zoologique : comparées aux recherches entreprises dans les régions polaires, elles nous permettent de distinguer les phénomènes produits uniquement par l’abaissement de la température de ceux qui s’expliquent spécialement par une grande élévation au-dessus du niveau des mers. En un mot, elles nous conduisent à un parallèle rigoureux des influences de la latitude et de l’altitude, par suite aux applications les plus variées et les plus fécondes de ces données à l’agriculture, à l’hygiène, et par conséquent au bien-être des populations destinées à vivre dans les pays de montagnes.


CHARLES MARTINS.