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géomètre répète des centaines de fois ses mesures angulaires. Les plus grands mathématiciens se sont efforcés d’introduire dans les formules qui servent à calculer la hauteur des montagnes mesurées géodésiquement des corrections propres à éliminer les erreurs dues à la réfraction terrestre ; mais cette réfraction variant suivant l’état de l’atmosphère, et cet état n’étant habituellement connu qu’à la station inférieure, on ignore quelles sont, au moment où l’on vise la cime, les conditions atmosphériques de l’air intermédiaire et de celui dont elle est entourée. On en est réduit à des hypothèses plus ou moins probables : de là des inexactitudes qui enlèvent aux méthodes géodésiques le prestige qu’elles empruntent aux procédés rigoureux dont elles font usage. Ce prestige a longtemps prévalu, et les mesures des hauteurs de montagne par le baromètre ont été considérées comme nécessairement inexactes, tandis que les méthodes géodésiques passaient pour infaillibles. Elles le sont en effet lorsque des mesures répétées, faites suivant différentes méthodes, concordent entre elles. C’est ainsi que les mesures géodésiques du Mont-Blanc donnent, pour la hauteur au-dessus du niveau de la mer, 4,809m,6, hauteur qu’on peut considérer comme parfaitement exacte ; mais une mesure unique, quel que soit le soin qu’on y ait apporté, n’a pas un degré de certitude supérieur à celle du baromètre.

On comprend l’intérêt que nous attachions à nos quatre observations barométriques ; nous voulions apporter un élément de plus, emprunté au sommet le plus élevé de l’Europe, dans cette grande lutte entre le baromètre et le théodolithe. On ne peut calculer la hauteur d’une montagne, mesurée par le baromètre, qu’au moyen d’observations barométriques correspondantes, c’est-à-dire faites à la même heure dans une station peu éloignée ; il faut en outre que la hauteur de ces différentes stations au-dessus de la mer soit d’abord parfaitement connue. Sous ce rapport, le Mont-Blanc est heureusement placé. Nous, avions les stations correspondantes de Chamounix, où se trouvait M. Camille Bravais ; le Grand-Saint-Bernard, où les religieux observent les instrumens météorologiques cinq fois par jour ; l’observatoire de Genève ; Chougny, près de cette ville, où habitait le vénérable astronome Gautier ; Aoste, où le chanoine Carrel continuait sans interruption une série météorologique ; enfin les observatoires de Lyon, Milan et Marseille. Nous avions pris une autre précaution indispensable pour arriver à un bon résultat : nos baromètres avaient été comparés directement à tous ces baromètres correspondans, et nous pouvions tenir compte des différences souvent notables que les meilleurs instrumens présentent entre eux. M. Delcros, un des officiers les plus distingués de l’ancien corps des ingénieurs-géographes, voulut bien faire les