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jour aussi, nous constations à l’aide d’une longue-vue que la tente qui abritait nos précieux instrumens sur le Grand-Plateau était encore debout. Le 6 août, le temps parut se rasséréner, le baromètre était plus haut de trois millimètres qu’avant la première ascension. Le vent de sud-ouest régnait toujours sur les hauteurs. Notre confiance n’était pas entière, mais nous avions peur de manquer une série de quelques beaux jours. Nous repartîmes donc le 7 août, à sept heures et demie du matin. La marche sur le glacier était plus difficile qu’à la première ascension, on enfonçait à chaque pas dans la neige nouvelle ; le guide qui frayait la trace se fatiguait promptement, surtout à partir des Grands-Mulets. À six heures et demie du soir, nous arrivions au Grand-Plateau. La tente était debout, les instrumens intacts ; mais à peine les avions-nous passés en revue que la neige se remit à tomber comme la première fois, le vent de sud-ouest fraîchit, le tonnerre gronda, et un violent orage éclata sur le Grand-Plateau. Nous construisîmes à la hâte un paratonnerre au moyen d’un bâton de montagne, auquel nous fixâmes une chaîne métallique. Le bâton fut enfoncé la pointe en haut près de la tente, et l’extrémité de la chaîne enfouie dans la neige. La précaution n’était pas inutile ; les coups de tonnerre éclataient presque en même temps que l’éclair. Par l’intervalle très court qui les séparait, nous jugeâmes que la foudre devait frapper les sommités voisines à un kilomètre de distance environ. À notre grand étonnement, le tonnerre ne roulait pas, c’était un coup sec comme la détonation d’une arme à feu. Cette nuit se passa comme la première ; les rafales étaient peut-être un peu moins violentes, mais nous courions la chance d’être foudroyés. La tente, raidie par la gelée, fermait mal, et une neige fine, semblable à du grésil, pénétrait à l’intérieur. Le thermomètre descendit à — 6°,3. Le jour parut, mais le mauvais temps n’avait pas cessé ; la neige devint plus abondante, il en tomba 33 centimètres en une heure. Confinés dans la tente, nous observions le baromètre, le thermomètre, et fîmes l’expérience de l’ébullition de l’eau. Vainement nous attendions que le temps se remît : nos hommes paraissaient inquiets, et vers trois heures de l’après-midi le guide-chef Mugnier nous déclara que la neige s’accumulait (il en était tombé 66 centimètres depuis la veille), que déjà les traces de trois de nos porteurs qui étaient redescendus le matin ne se voyaient plus, et que le lendemain la descente serait peut-être impossible. Il fallut se résigner une seconde fois. Les trois premiers guides s’attachèrent à une corde et plongèrent dans le brouillard pour frayer la route à ceux qui les suivaient. La brume était si épaisse qu’on ne pouvait rien distinguer à vingt pas devant soi ; le vent nous chassait dans le visage une neige fine et glacée, piquante comme des pointes d’épingle. Il semblait impossible