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lui-même s’y était rencontré l’année suivante avec le physicien Athanase Peltier et y avait demeuré vingt-trois jours. La comparaison des régions boréales du globe avec les hautes régions alpines était le sujet habituel de nos conversations. Sur le Faulhorn, nous avions fait une foule d’observations et abordé un certain nombre de problèmes qui ne pouvaient être résolus que par une ascension et un séjour à une plus grande hauteur ; nous pensâmes au Mont-Blanc. M. Pouillet et M. Nisard, à des titres différens, s’intéressèrent à notre projet et en firent part au ministre de l’instruction publique, qui était alors M. Villemain. Quoique les lettres eussent fait sa gloire, M. Villemain estimait, aimait et protégeait les sciences. Notre demande fut agréée, et il nous fournit les moyens de réaliser la première ascension réellement scientifique qui ait été faite depuis celle de Bénédict de Saussure. Dans l’intervalle de cinquante-sept ans, les sciences physiques et naturelles avaient accompli de tels progrès que la simple répétition des expériences de Saussure avec les instrumens perfectionnés et les méthodes nouvelles était déjà d’un grand intérêt ; mais nous espérions tenter quelques essais auxquels ce grand météorologiste n’avait pas songé, ou que le temps l’avait empêché d’exécuter.

Partis de Paris le 16 juillet 1843, nous nous arrêtâmes à Genève pour comparer nos instrumens avec ceux de l’observatoire de cette ville et convenir avec le directeur, M. Plantamour, d’un système d’observations qui correspondraient à celles que nous voulions faire, sur le Mont-Blanc. Nous quittâmes Genève le 26 juillet. Suivant à pied une longue charrette à quatre roues qui portait notre matériel, nous arrivâmes à Chamounix le 28. Les préparatifs nous prirent quelques jours. Notre dessein étant de séjourner aussi haut que possible sur le Mont-Blanc, nous avions emporté de Paris une tente de campement avec ses montans et ses piquets, des paletots en peau de chèvre, des sacs en peau de mouton, des couvertures, etc. Nos expériences exigeaient de nombreux instrumens de physique et de météorologie ; il fallait des vivres pour trois jours : chaque porteur ne pouvait se charger que de 12 kilogrammes et de ses provisions ; Or nous avions environ 450 kilogrammes à, transporter à une hauteur de 3,000 mètres au-dessus de la vallée de Chamounix. Il fallut nous occuper nous-mêmes de tous les préparatifs de l’ascension, diviser les objets en lots de poids égal et les faire tirer au sort par les porteurs afin d’éviter toute dispute et toute récrimination, veiller à la préparation des vivres, acheter le pain et le vin, les distribuer enfin nous-mêmes le jour du départ. Ainsi, au lieu de ce calme de l’esprit, de ce recueillement dont l’homme de science a besoin avant d’entreprendre ses travaux, nous étions distraits par