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alors la montagne maudite, la vallée de Chamounix était inconnue aux populations des bords du lac Léman, quoique le prieuré ou couvent de bénédictins existât depuis 1090, et que les évêques de Genève le visitassent dès le milieu du XVe siècle. L’un d’eux, François de Sales, y arriva le 30 juillet 1606 et y resta plusieurs jours. Néanmoins c’est un voyageur anglais célèbre par ses pérégrinations en Orient, Richard Pococke, accompagné de Windham, un de ses compatriotes, qui a réellement découvert la vallée de Chamounix en 1741, fait connaître ses beautés et dissipé les craintes mal fondées qu’inspirait la prétendue barbarie des habitans. Trop préoccupés cependant des récits absurdes et mensongers débités avec assurance pour les détourner de leur projet, Pococke et Windham s’entourèrent de précautions inutiles, n’entrèrent dans aucune maison et campèrent assez loin du prieuré de Chamounix, près d’un bloc erratique qui se nomme encore la Pierre des Anglais. On peut donc affirmer que si un étranger a découvert la vallée de Chamounix, ce sont des Genevois, Bourrit, de Saussure, Pictet et Deluc, qui la firent réellement connaître. Ce qui est vrai des alentours du Mont-Blanc l’est encore plus de ceux du Mont-Rose et même des Alpes bernoises et valaisannes. On ne connaissait, à l’époque dont nous parlons, que les passages fréquentés qui conduisaient en Italie : le Mont-Cenis, le grand et le petit Saint-Bernard, le Monte-Moro, le Simplon, le Saint-Gothard, le Splugen, le Bernhardin, le Septimer et les autres cols par lesquels les vallées longitudinales des Alpes communiquaient entre elles, la Gemmi, la Grimsel, le Juliers, l’Albula, le Panix, etc ; les voyages du naturaliste Scheuchzer, les ouvrages descriptifs d’Altmann et de Gruener révélèrent la Suisse à l’Europe au commencement du XVIIIe siècle ; mais ce ne fut qu’à la fin de ce siècle que les travaux de Saussure et de Bourrit la rendirent populaire. Depuis cette époque, le flot de voyageurs qui la visitent chaque année a sans cesse grossi. Actuellement la Suisse est un parc sillonné par des chemins de fer et des bateaux à vapeur, le voyageur pédestre a disparu de la plaine et ne se retrouve que dans la montagne. Les ascensions alpestres des touristes se sont multipliées, celles des savans sont toujours rares ; commençons par la plus célèbre de toutes, l’ascension de Saussure en 1787.


I

Né à Genève en 1740, Horace Benedict de Saussure commença ses voyages dans les Alpes à l’âge de vingt ans. La météorologie ; la topographie, la géologie, la botanique, l’aspect pittoresque et les mœurs des habitans avaient tour à tour fixé son attention. Pour