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liberté, » le poète passe à l’éloge du prince auquel son œuvre est dédiée :


« Djanim, la ferme colonne de la contrée, le père des orphelins, magnifique, hospitalier, grand patriote, a fait pour le Magne ce que nul avant lui n’avait fait. Dans son palais, une cloche sonne l’heure des repas. Tous ceux qui passent et entendent ce signal entrent hardiment, s’assoient à la table du bey, et s’en vont contens et rassasiés. Il aime le pauvre et l’étranger ; il persécute les méchans, qu’il broie comme du sel. Aussi tous, jeunes gens et vieillards, le chérissent, tous, excepté le seul Dourakis, qui vit comme un sanglier, opprimant et volant le faible, ne songeant qu’à festoyer avec sa maîtresse, tandis que le peuple murmure. Dourakis voulut s’emparer de Milia et de Marathonisi et soumettre tout le pays à sa loi. Il appelle les Turcs, lève une armée sur terre, une escadre sur mer, puis il s’avance vers Androuvitza ; mais les valeureux jeunes gens et les terribles capitaines s’opposent à sa marche, un seul en chasse cent devant lui, cent en chassent mille. »


Niphakis poursuit par la nomenclature des quarante-sept villes ou villages disséminés sur la surface du Magne ; il réserve au Kakovouni cette mention toute spéciale :


« Là, pas une goutte d’eau, point de moissons, si ce n’est un peu d’orge que les femmes sèment, cultivent et récoltent. Ce sont elles qui assemblent les maigres tiges et en forment des gerbes. Avec leurs mains, elles les étendent au soleil ; avec leurs pieds, elles les foulent sur l’aire. Aussi leurs mains et leurs pieds sont-ils couverts d’une peau sèche, duré, épaisse comme l’écaille des tortues. Pas un arbre, pas un buisson, pas une branche qui permette aux malheureuses de se reposer à l’ombre ou de rafraîchir leur vue. Le soir, elles tournent la meule à bras en se lamentant et en chantant de tristes myriologues. Pendant ce temps, les hommes rôdent au dehors, pillent, volent et méditent des trahisons les uns contre les autres. Celui-ci défend sa tour ou attaque celle de son voisin ; celui-là exerce le droit du sang sur un frère, un père, un neveu, et roule dans sa tête des projets de vengeance. S’il arrive qu’un navire, pour ses péchés, échoue sur la côte, tous se jettent sur lui et se disputent les moindres planches du naufrage. Quand un étranger s’aventure dans leur pays, ils l’invitent à manger avec eux, et lorsqu’il va partir, ils lui disent : « Compère[1], réfléchis à ce que nous allons te dire, c’est pour ton bien. Quitte cette tunique, ce manteau, cette ceinture, de peur qu’un de nos ennemis ne te les enlève pour te punir de l’hospitalité que nous t’avons donnée. Ah ! si les ennemis de notre village venaient à te dépouiller, ce serait pour nous une grande honte et un grand dommage. Et puis, mon petit compère, nous te

  1. Kουμπάρη, compère, terme familier qu’emploient les Grecs pour désigner ceux qui ont tenu soit un enfant sur les fonts baptismaux, soit les couronnes qui, dans la cérémonie du mariage grec, sont posées sur la tête des deux époux. Par extension, ce terme est aussi appliqué aux hôtes.