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DEUX ASCENSIONS
AU MONT-BLANC

ETUDES DE METEOROLOGIE ET D'HISTOIRE NATURELLE

Chaque été, des touristes partent de tous les points de l’Europe, se dirigeant vers les Alpes, et gravissent à l’envi les cimes les plus inaccessibles. Bientôt tous ces sommets neigeux dont la blancheur virginale était un emblème cher aux poètes auront été déflorés. En Angleterre, en Suisse, en Autriche, en Italie, se sont formés des clubs alpins dont les membres rivalisent de zèle et d’audace ; une noble émulation, un amour-propre légitime les animent et les excitent. On compte le petit nombre de sommets que leur pied n’a pas encore foulés. On ne pourrait faire un meilleur emploi de la vigueur, de l’agilité et de l’énergie qui caractérisent la jeunesse. Les exercices stéréotypés de la gymnastique régulière, les petits incidens et les petits obstacles de la chasse dans les plaines bien connues qui entourent l’héritage paternel, ne sauraient suffire à des esprits entreprenans servis par des corps sains et vigoureux. Les Alpes sont une arène où ils peuvent déployer toutes leurs qualités physiques et morales. Des nuits passées dans les chalets ou sous une pierre près de la limite des neiges éternelles, les difficultés réelles et les dangers sérieux des glaciers, les obstacles imprévus de rochers verticaux barrant l’accès de la cime désirée, le froid, les effets de la raréfaction de l’air, des nuages enveloppant subitement la montagne dans une brume épaisse, les orages dont la foudre frappe si souvent les sommets, l’obscurité surprenant le voyageur au milieu de ces déserts de neige et de glace, voilà des fatigues dignes de la vigueur et des aspirations d’une jeunesse virile et bien trempée.