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démontré que les actes physiologiques fussent une fonction de l’âme pensante, c’en serait fait du raisonnement de Jouffroy, qui repose sur l’opposition de l’âme, clairement connue dans sa causalité et dans ses actes, au principe hypothétique et inconnu de la vie physiologique ; mais cela n’est pas démontré. Le vitalisme de M. Jouffroy s’appuie sur des argumens pour le moins aussi solides que l’animisme. Et d’ailleurs, quand même il serait établi que la forme de son raisonnement n’est pas de tout point invulnérable, il n’en garde pas moins sa valeur à nos yeux. Ce mémoire est un modèle d’analyse ; en le lisant, on sent que l’on est à une grande école d’observation intérieure. Ces maîtres de la spiritualité agissent profondément sur vous, à condition que vous ne leur opposiez pas une résistance de parti-pris. Ils vous conduisent si sûrement à travers les obscurités de votre vie intime, ils vous habituent si bien à distinguer ce qui ne doit pas être confondu, à démêler ce qui est vous de ce qui est à vous, à vous déprendre peu à peu de vos organes et de leur sphère d’action, pour ne plus voir que le fond même de l’être, l’être vrai, distinct de tout ce qui en complique ou en voile l’essence, que ces sortes d’analyses sont déjà des démonstrations de la spiritualité, les meilleures peut-être et les plus solides de toutes. M. Jouffroy excelle dans ce grand art philosophique. Personne n’excite d’un tact plus sûr et plus fin le sens des réalités invisibles, étourdi par le tumulte grossier de la sensation, dispersé dans le dehors de la vie ; il nous rend l’âme visible et présente, sans autre artifice qu’une transparence presque idéale d’analyse. C’est là certainement quelque chose de meilleur et de plus rare qu’un argument sans défaut. D’ailleurs nous donner la perception vive de la spiritualité, n’est-ce pas déjà la démontrer ?

Tout s’enchaînait dans cette pensée active et logique ; son œuvre entière n’avait qu’un but, auquel chaque partie venait successivement se rattacher : le problème moral, auquel il donna son vrai nom, plus expressif peut-être, moins scientifique et plus humain : le problème de la destinée. Il y arriva de bonne heure, par la pente naturelle de son esprit ; il y fut conduit également par la nécessité de combler le vide que la foi, en se retirant, avait laissé dans son âme. Son intelligence, comme nous l’avons vu, était de celles qui ne peuvent vivre dans la nuit et qui cherchent avec ardeur la lumière, pour laquelle elles se sentent créées. Ces nobles esprits peuvent bien connaître le doute, il en est même très peu qui ne le traversent ; mais ils ne s’y arrêtent pas. Le doute, pour eux, est une crise, ce n’est pas un dénoûment.

Plusieurs années consécutives furent consacrées à ce grand sujet ; Jouffroy en fit la matière de ses leçons à la Sorbonne de 1830 à 1835. Malheureusement il ne nous en reste que des débris : deux