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lui des plus grands intérêts de sa vie morale et religieuse. En un sens, la question de la destinée de l’homme dépendait de cette question préalable : quelle est la vraie nature de l’homme, ? Et ce n’était point assez, pour cette raison exigeante et difficile, de recueillir, à la surface de sa conscience, quelques clartés plus ou moins vives sur l’essence du principe intelligent. Il ne lui fallait pas moins que la certitude ; elle seule pouvait le contenter. Il méritait de l’obtenir par la sincérité et l’opiniâtreté de la poursuite ; il l’obtint en effet après de longues méditations où toutes ses facultés d’analyse et de dialectique s’étaient rassemblées pour un suprême effort. De 1826 à 1839, le problème inachevé s’était secrètement préparé, développé dans son esprit. Un jour il se trouva résolu.

Tout le mémoire sur la Distinction de la Psychologie et de la Physiologie n’est véritablement, comme Jouffroy le disait lui-même à M. Cousin, que l’exposition d’une nouvelle preuve de la spiritualité de l’âme. Il voulut se donner à lui-même et donner publiquement aux autres la raison de son spiritualisme, qu’il ne trouvait pas suffisamment motivé par les preuves ordinaires. À quoi se réduisent-elles en effet ? Elles peuvent toutes se ramener à deux formes. On dit : Il y a en nous des phénomènes de deux sortes, les phénomènes physiologiques et les phénomènes psychologiques ; donc ils dérivent de deux causes et appartiennent à deux êtres différens. On ne peut rapporter la digestion au même principe que la pensée, la volonté ou le désir à la même source que la circulation du sang. — Ou bien on dit : Toutes les opérations, tous les phénomènes de la vie psychologique attestent l’unité et la simplicité du principe qui en est la source ; ce principe ne peut donc être ni le corps, ni un organe du corps. Il y a donc en nous deux êtres : le corps, être composé, principe des phénomènes physiologiques, et l’âme, être simple, principe des phénomènes psychologiques. — Deux raisonnemens également vicieux, selon Jouffroy. La preuve de la spiritualité ne peut sortir de la nature comparée des phénomènes physiologiques et psychologiques. Ils ne sont pas de même ordre, et par conséquent les différences qui les séparent ne prouvent rien. Fussent-ils de même ordre, elles ne prouveraient rien encore, parce qu’une même cause peut produire des phénomènes très divers. On raisonne sur la vie physiologique comme si on la connaissait, tandis qu’au contraire rien n’est plus obscur pour nous que cette vie. « Les causes nous en échappent ; nous n’atteignons même pas les actes de ces causes. Tout ce que nous pouvons saisir, ce sont les effets matériels produits dans le corps par les actes inconnus des causes inconnues de la vie. Encore n’est-ce que par surprise et avec mille peines que nous les saisissons, et non pas tous, mais seulement quelques-uns… Et cependant c’est sur cette vie si obscure, si