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classiques sur le Sommeil, sur les Facultés de l’âme, l’analyse si substantielle et si délicate du phénomène esthétique dans la première partie du cours consacré à la théorie du beau ; mais la plus considérable de ses recherches dans cet ordre de questions, c’est incontestablement le mémoire sur la Distinction de la psychologie et de la physiologie. Nous ne pouvons nous dispenser d’en indiquer au moins les importantes conclusions.

Il y a une science de l’homme intérieur, parce qu’il y a une réalité observable distincte des réalités physiques, l’esprit humain. Notre intelligence a deux vues distinctes ; l’une sur le dehors par l’intermédiaire des sens, l’autre sur elle-même et les faits qui se passent dans le for intérieur, sans aucun intermédiaire. La première de ces deux vues est l’observation sensible ; la seconde est l’observation interne, conscience ou sens intime. Ces deux observations sont également réelles, légitimes, et bien que leurs moyens diffèrent, leur autorité est égale. Chacune a sa sphère spéciale, en sorte que les sens ne peuvent pénétrer dans la sphère de la conscience, ni la conscience dans la sphère des sens. Faits sensibles, faits de conscience, voilà une distinction essentielle d’où sort la distinction de deux ordres de sciences, la psychologie et la physiologie[1].

Mais quel est le principe des faits internes ? Il est simple, il est unique, voilà tout ce que l’on peut dire ; cela suffit-il pour affirmer quelque chose sur sa nature ? En 1826, quand il écrivait sa préface aux Esquisses de Dugald Stewart, M. Jouffroy posait le problème sans le résoudre, et il achevait ce grand travail par cette conclusion timide : « Il faut laisser dormir quelque temps encore ce problème très ultérieur de la nature du principe, problème qui a de l’importance relativement à notre immortalité, mais qui n’intéresse nullement l’étude des faits internes ; la science n’est pas en mesure pour l’aborder. » Ce n’est pas nous qui reprocherons à M. Jouffroy un pareil aveu. Il y a une chose presque aussi belle en philosophie que la découverte de la vérité, c’est d’oser dire qu’on ne se croît pas en mesure de la découvrir encore. Il faut pour cela un sentiment élevé du vrai et un courage qui a son prix. Du reste, sans rien affirmer sur la nature du principe intelligent, M. Jouffroy inclinait déjà nettement au spiritualisme, et il établissait contre la physiologie matérialiste une série de conclusions très fines et très fortes, qui, sans résoudre le problème d’une manière définitive, semblaient en anticiper la solution ; mais cela ne lui suffisait pas : il y revenait sans cesse, l’abordant de différens côtés, ne pouvant se résoudre, en si grave sujet, à s’en tenir aux questions de fait. Il y allait pour

  1. Préface aux Esquisses de Dugald Stewart.