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causes), on ne peut espérer soumettre les solutions de cet ordre au joug de la démonstration purement logique, qui n’est qu’une chaîne d’identités. Le raisonnement positif échouera toujours dans sa tentative de réduire en équations cette vérité d’ordre supérieur, dans l’essence de laquelle entre, pour une certaine part, un élément irrationnel, l’infini. Il ne servirait à rien de s’en plaindre. Il faut s’y résigner, puisque cela est ainsi. D’ailleurs, ni l’existence de la certitude, ni celle de la science philosophique, en tant que science, ne sont mises en péril par ces considérations que nous ne faisons qu’indiquer, et dont le développement nous écarterait trop de notre sujet ; » mais ce qu’il faut bien comprendre et oser dire, c’est que la certitude et la science philosophique ne sont pas de la même nature que la certitude et la science positives. Il faut renoncer en même temps à l’idée de voir la science philosophique enfermée dans un cadre précis de questions déterminées, et se développant dans des limites éternellement fixes. Il est dans sa nature d’avoir une certaine mobilité de frontières, une certaine indépendance d’allures, beaucoup d’irrégularité dans sa marche. Enfin qu’on n’espère pas la voir jamais soumise, comme les sciences mathématiques ou physiques, à l’heureuse fatalité d’un progrès régulier et continu. La vérité une fois acquise, dans ces deux sciences, ne se perd plus et s’accroît toujours. Dans la science philosophique, les choses ne vont pas d’un train si régulier et si simple. Un coup de génie peut soudain ouvrir devant nos yeux tout un horizon nouveau, ou reculer le champ de notre vision jusqu’à des limites inconnues ; puis, par l’effet de causes très diverses, difficiles à prévoir, tout s’obscurcit et se trouble dans cet horizon de la métaphysique. On dirait qu’un nuage passe sur la vérité et en voile un instant l’éclat aux yeux de la raison humaine. Pendant ces crises d’obscurité, que doit faire la philosophie ? Soutenir, comme disait Platon, le regard de l’âme, le diriger vers le foyer de la lumière, en attendant que reparaisse la divine clarté.

Ce qui restera de la grande tentative de Jouffroy dans cette question de la méthode, c’est une législation admirable de l’observation psychologique. On ne recommencera point, après lui, ce traité si exact et si profond des règles de l’expérience appliquée à l’âme, que l’on trouve développé dans sa préface aux Esquisses de Dugald Stewart et repris un peu partout dans chacun de ses écrits. — Ce qui restera également, ce sont quelques théories établies sur cette base de l’observation, et qui constituent des parties essentielles de la science de l’esprit. Rappelons au moins, avec le regret très vif de ne pouvoir insister sur des sujets ou entièrement nouveaux ou renouvelés par lui, le travail ingénieusement profond, et que j’incline à croire définitif, sur la psychologie des signes, les morceaux devenus