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il n’est pas vraisemblable que ces problèmes, du moins tous, soient insolubles, la stérilité de la philosophie ne prouve qu’une chose : c’est qu’on s’y est mal pris jusqu’à présent pour les résoudre. L’objection sceptique étant écartée, il ne reste que cette explication du phénomène. Ce n’est donc pas la raison humaine qui est coupable par le vice même de sa constitution ; elle n’est coupable que par le mauvais emploi de ses forces. Ce n’est pas la faculté qui a manqué à l’œuvre, c’est la méthode.

On peut dire qu’il n’est pas de question à la solution de laquelle M. Jouffroy ait donné plus de soin et de temps. Il s’en est occupé jusqu’au point de fatiguer le public ; il en avait conscience lui-même. En terminant son introduction aux œuvres de Reid, il ne se dissimulait pas que ce long travail, roulant entièrement sur l’organisation de la philosophie, lui mériterait de nouveau le reproche de ne point sortir des questions préliminaires et de ne jamais arriver à la science elle-même. « Nous avouerons, disait-il, que ce reproche nous touche médiocrement, car, outre que ceux qui nous l’adressent n’ont guère fait autre chose jusqu’à présent que d’agiter des questions de méthode, nous persistons à croire, pour leur justification comme pour la nôtre, que dans une science qui en est où en est la philosophie, c’est de cela et de cela seul qu’il s’agit. Quand une science a vécu deux mille ans, et qu’après deux mille ans elle n’est pas arrivée à un seul résultat accepté et convenu, il faut ou renoncer à s’en occuper, ou, si l’on ne veut pas en désespérer, déterminer, avant d’en reprendre les recherches, le vice secret qui a rendu tous ces efforts impuissans. » Il a exprimé si souvent et sous tant de formes sa pensée sur ce sujet qu’on nous pardonnera de ne rappeler que ses conclusions, sans repasser à travers les longs détours de son exposition.

À quelles conditions une science est-elle constituée et organisée ? Elle est constituée quand elle a une idée vraie et précise de son objet. Elle n’est elle-même qu’à la condition de se distinguer des autres sciences et d’avoir le droit de s’en distinguer, c’est-à-dire quand le signe qui la distingue est fixé. — Elle est organisée à deux conditions : d’abord il faut qu’elle ait une idée vraie et précise des grandes et véritables divisions de son objet, ou, ce qui revient au même, des questions dans lesquelles elle se résout ; — il faut de plus qu’elle ait une idée vraie et précise de la méthode à suivre pour résoudre ces questions et arriver à la conscience entière de son objet. Ainsi l’idée de l’objet de la science, la distinction des parties qui composent cet objet, la méthode ; les conditions de vérité dans les recherches que chaque science embrasse, voilà à quels caractères on reconnaît qu’une science existe réellement, qu’elle existé à titre de science.