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a été rétabli, et il le fallait. La métaphysique touche par trop de points à la morale pour que l’une, relevée, ne relève pas l’autre. La logique, invoquée tout à l’heure contre les notions ontologiques, doit être maintenant appelée à les défendre. La raison ne souffre pas ces choix arbitraires entre le vrai qui ne serait que possible et le bien, qui seul serait réel. S’il y a du bien absolu, il y a du vrai absolu. Si le devoir est absolu, il ne peut l’être que par son rapport à Dieu. Voilà ce que Kant a profondément aperçu, voilà ce qui l’a décidé à reprendre au nom de la raison pratique tous les grands objets de la foi morale et religieuse, à ressaisir l’absolu qu’il rencontrait inévitablement dans la conscience, qui n’est qu’une des formes de la raison, et, par la force de cet absolu retrouvé, à relever la métaphysique de ses ruines.

Ce n’est pas par cette voie de la morale que M. Jouffroy rentre en possession de la vérité, c’est par la voie peut-être insuffisante du sens commun, opposé à ce doute spéculatif, dont il reconnaît la force, à condition que ce doute ne sorte pas de la sphère toute métaphysique où il est confiné par sa nature, et d’où il ne peut exercer aucune influence appréciable sur la conduite de l’esprit humain. Un doute métaphysique, c’est bien là son nom. Ce nom en établit nettement la portée logique, et il permet de la réduire dans ses vraies limites. Au fond, c’est la pure constatation de ce fait : à la base de la science humaine, une première croyance ; au début de toute opération de l’entendement, un acte de foi de la raison dans sa propre véracité. Cela posé, M. Jouffroy passe outre, et, revenant à la question qui avait été le point de départ de toute cette recherche, il se demande pourquoi tant d’efforts inutiles du génie humain dépensés en pure perte autour des grands problèmes. Est-il probable que ces problèmes ne peuvent être résolus ? Il ne le pense pas, parce qu’en considérant la nature de ces questions il voit non-seulement qu’elles sont de toutes celles qui intéressent le plus l’humanité, mais encore qu’elles sont de toutes celles sur lesquelles le sens commun de l’humanité hésite le moins. « En fait, l’humanité ne manque point de lumières sur ces questions ; en droit, il semblerait absurde qu’elle en manquât. Il se peut donc que la science n’ait pas encore trouvé le secret, la formule générale de ces jugemens prompts, rapides, sûrs, que porte le sens commun comme par instinct ; mais enfin il les porte, et, s’il les porte, il aperçoit confusément les motifs de les porter, il a une intelligence sourde de ces motifs ; ils existent donc, et, s’ils existent, il est possible de les apercevoir nettement, de les déterminer[1]. » Or, comme

  1. Nouveaux Mélanges. De l’Organisation des sciences philosophiques, première partie.