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II

Les Romains unissaient par excellence à l’esprit de conquête l’esprit d’assimilation, qui rend les conquêtes durables, surtout les conquêtes intellectuelles. Ils ont emprunté beaucoup aux sociétés qu’ils renversaient et aux pays qu’ils soumettaient ; mais leurs emprunts étaient dirigés par un sens pratique, par une forte conception de leurs besoins, par une volonté nette de tout marquer au sceau de l’unité. Rome était ouverte à toutes les idées, à la condition que toutes les idées devinssent romaines et fussent subordonnées à ses usages comme à ses lois. Les religions étaient admises sans conflit, des temples étaient élevés aux nouveaux cultes, dès que ces nouveaux cultes sacrifiaient aux dieux du Capitole et s’associaient aux prières faites au nom de l’état. Sérapis, Mithra, Sabazius, les divinités de l’Orient le plus reculé eurent des autels dans le grand Panthéon romain, parce que leurs adorateurs reconnaissaient la religion d’état. On remarquera en effet que les magistrats romains ne disaient jamais aux chrétiens qu’ils faisaient torturer : « Renoncez à votre Dieu, » mais bien : « Sacrifiez aux nôtres ! » De même, dans les lettres, les Latins ne commencèrent à être de simples traducteurs des Grecs que pour devenir leurs émules et pour fonder une littérature nationale. On voulut sur la scène des personnages portant la toge romaine et non plus le pallium grec. Plaute, dans des cadres grecs, peignit surtout les mœurs romaines ; Virgile se fit le rival à la fois d’Hésiode et d’Homère, et, quoique leur imitateur, il tendait par un effort continu à créer des œuvres nationales ; Horace soumit à la même transformation la poésie lyrique, en même temps qu’il illustrait un genre proprement latin, la satire. Ce don d’assimilation, les Romains l’avaient manifesté de bonne heure en présence de l’art étrusque. S’ils avaient adopté ses principes et ses formes, ils avaient modifié et singulièrement agrandi ses applications. Ils avaient repoussé les sujets, les symboles, les monstres, les représentations fantastiques, que l’Étrurie avait empruntés à l’Orient pour les reproduire par des sculptures et des peintures innombrables ; leur sens droit et pratiqué répugnait aux chimères ; ils étaient déjà les représentans du génie occidental. Ni la mollesse ni les images voluptueuses de l’Étrurie n’avaient eu accès à Rome. Les Romains ne chargeaient point leurs doigts de bagues et de pierres finement gravées, mais ils devancèrent les Étrusques dans l’art de frapper la monnaie, moyen d’étendre leur influence, leur commerce, leur domination. L’architecture les avait surtout séduits, et cependant ils la marquèrent, dès les premiers siècles de la republique,